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148 DE LA POÉSIE. changé, il n'attire plus vers l'éther céleste, mais vers les pro- fondeurs où gît le lingot aurifère. Dans ces conditions, la prose, évidemment, doit suffire aux intelligences nivelées; la langue n'est presque plus qu'une nomenclature chimique. A quoi bon des rhylhmes et des for- mules musicales pour la pensée, alors qu'elle tient à rester sur la terre, et qu'elle ne veut plus d'ailes pour l'enlever au ciel? C'est précisément à l'influence morbide et contagieuse de cette épidémie morale, qu'il faut attribuer l'épuisement et la dégénérescence du tempérament littéraire et l'abaissement du niveau intellectuel que nous signalions.N'en imputons pas la faute à l'éducation universitaire ou libre : cette éducation est aussi solide et aussi étendue que jamais, seulement, elle ne peut réagir d'avance contre le milieu fatalement perni- cieux qui accueille le jeune homme au sortir du collège. On voit maints lauréats qui dépouillent en quatre ou cinq ans toute la matière littéraire dont les avait imprégnés huit années de brillantes éludes. Ce n'est pas leur faute ; c'est celle- du monde où ils vivent. Il faut une vocation robuste et une pré- . destination spéciale, pour maintenir dans la sphère des lettres ceux qui les aimèrent sur les bancs de l'école. Tout ceci conduit à penser que les races latines ont une pente sensible à perdre leur caractère primordial, qui, selon nous, était Vaptitude littéraire. Celle-ci disparaît chaque jour devant l'aptitude scientifique, qui forme le signe distinc- tif du monde moderne. — L'élément anglo-saxon, fusionné dans le sang américain, semble devenir le type dominant de l'humanité. Ce type est essentiellement exclusif de la poésie. Vous ne citez pas un poète aux Etats-Unis, sauf pourtant Longfellow, et dans une certaine mesure, Edgar Poe, C'est1 le culte inflexible de la matière qui se propage dans les nationa- lités diverses; les sciences exactes deviennent leur idéal, parée