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142                    DE LA POÉSIE.
s'associent aux fusées des vins mousseux, de la même façon
qu'on permet aux harpistes ambulants el aux bayadères fo-
raines de venir égayer le dessert des tables d'hôte.
   Tels sont le cas et l'usage qu'on en fait. Mais, hélas!
adieu ce culte pur et immaculé que professaient nos pères
pour cette divine langue ; adieu, les ivresses inextinguibles
qu'elle faisait naître dans les cœurs ; adieu, cette magie du
rhythme et de la mélopée qui, revêtant les belles choses* les
rendaient immortelles; adieu, enfin, ces éoliennes et suaves
mélodies dont elle berçait la jeunesse, et dont l'écho vivace
se répercutait dans toutes les phases de la vie humaine!
Adieu!... tout cela a disparu, s'est évanoui : ce n'est plus
qu'un rêve flottant dans le passé, un rêve dont le galbe in-
décis et les linéaments vaporeux frappent à peine les yeux
des nouvelles générations.
   Chaque année, il s'imprime et se publie en France, une
cinquantaine de volumes de vers, qui ne sont lus par per-
sonne, et qui sautent presque sans transition de la vitrine
du libraire achalandé à l'étalage de l'échoppe du bouqui-
niste. Comme les enfants chinois, ils sont sacrifiés dès leur
naissance sur le fleuve Amour de l'oubli, et, sauf quelques
intimes qui les ont feuilletés par conscience et d'un doigt
distrait, le monde ne les connaît que par leurs fragments la-
cérés qu'il retrouve autour des paquets de denrées coloniales.
   Et pourtant, parmi tous ces livres morts-nés, et dont beau-
coup, convenons-en, méritent leur sort, il y en a plusieurs
qui portent l'empreinte du véritable talent, el que le même
flot emporte néanmoins aux gémonies de l'inconnu. C'est la
loi fatale. On a beau dire que le destin infaillible du vrai
talent est d'être forcément connu et apprécié à une heure
donnée, ce n'est qu'un paradoxe tout fait pour excuser l'in-
différence ou l'hostilité du public. J'admets comme certain
que Gilbert, Malfilâtre, Elisa Mercosur et Hégésippe Moreau