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                           BIBLIOGRAPHIE.                           "247
pas que j'accuse la véracité de Tacite ; elle a été souvent con-
testée, et très à taux selon moi ; Suétone est là pour prouver
qu'il n'a nullement chargé ses tableaux. Mais les anciens étaient
artistes, et quand ils écrivaient, ils avaient soin de mettre dans
leurs scènes un certain choix ; ils drapaient leurs personnages et
faisaient porter la lumière sur quelques figures nettement dessi-
nées au premier plan. Les Romains cherchaient l'effet, et don-
naient à toutes leurs narrations un tour éminemment drama-
tique. En cela, Tacite est passé maître ; la plupart de ses scènes
sont des scènes de tragédie. Aussi Racine a-t-il été jusqu'ici le
plus fidèle de ses traducteurs. La langue du XVII e siècle, avec sa
noblesse et sa dignité théâtrales, se rapprochait beaucoup plus
d'un pareil modèle que notre langage actuel, qui a perdu en force
et en concision ce qu'il a gagné en souplesse et peut-être en
simplicité.
   Voilà quelques-unes des difficultés d'une traduction de Tacite,
sans parler de ses qualités inimitables qui sont pour le traduc-
teur autant de difficultés nouvelles. Mais, plus la tâche est élevée,
et plus il faut savoir de gré à celui qui l'entreprend. Qu'on songe
que le nombre de ceux qui lisent Tacite dans l'original est bien
restreint, et que les traductions sont la ressource obligée non-
seulement des lectrices, pourquoi Tacite n'en aurait-il pas ? mais
des deux tiers au moins des lecteurs.
   Il y a enfin une dernière raison pour laquelle je mets Tacite
au-dessus de tous les autres anciens , et une raison qui doit
faire désirer de le voir de plus en plus accessible aux gens du
monde, mais qui ajoute à toutes les difficultés de sa reproduction
dans une langue étrangère ; c'est que nul autre n'a , au même
degré que lui, le sentiment naturel de l'honnête et du droit. Il
ne nous a pas laissé les beaux traités de morale de Cicéron ou de
Senèque; mais c'est l'âme la plus vertueuse, la plus noble et la
plus fière de l'antiquité. Dans ce monde romain si différent du
nôtre et dont il n'a pas dépouillé lui-même tous les préjugés, on
ne trouve guère ailleurs cette élévation et cette sérénité de l'es-
prit qui font de ses jugements autant d'arrêts inflexibles. Il est
à quelques égards le Bossuet du paganisme.
   Entre ses différents ouvrages, il serait difficile de faire un choix;
cependant les Histoires dont les tableaux sont plus complets et
plus développés que ceux des Annales, sont peut-être par cela
même supérieures. Quoi de plus beau que les scènes de la cons-
piration d'Othon et de son couronnement par les soldats ? Quoi
de plus saisissant que la marche des légions vite]tiennes, et les
portraits de tous ces chefs, Cécina, Mucien , Priuuis, qui se con-
tentaient de faire des empereurs, n'osant prendre la pourpre pour
eux-mêmes?
   Le plus beau témoignage que l'on puisse rendre à M. Olivier,
c'est de dire qu'il a lulté courageusement avec un tel modèle, qu'il