Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
6                          CHËNAVAUI.

    Et la stérilité flétrissait sous ses chaînes
    Ces champs où des épis avaient été semés.

    Il fallait consulter la muse du poète !
    Des mystères voilés instinctive interprète,
    Elle t'eût révélé l'énigme des savants ;
    Je l'interrogeai seule, et sa harpe divine,
    De ces lieux dévastés réveillant la ruine,
    Me chanta leurs malheurs inconnus aux vivants.

    Jadis, m'â-t-elle dit, des forêts verdoyantes
    Balançaient sur ce mont leurs cimes ondoyantes ;
    A leurs pieds s'étendait l'or pâle des moissons ;
    En de nombreux ruisseaux la riante prairie
    Baignait les plis moelleux de sa robe fleurie,
    Aux lieux même où la lave a creusé des sillons.

    Là bas, sur ce grand fleuve, aux flots bleus et rapides,
    Que d'Annibal encor les soldats intrépides
    N'avaient pas illustré par leur vol belliqueux,
    A l'heure où le soleil délaisse la vallée,
    Un guerrier inconnu, vers cette île isolée,
    Dans un léger esquif voguait silencieux.

    Furtif, il s'éloignait de ces fertiles plaines
    Que le Rhône azuré sépare des Cévennes ;
    Plaines où le carnage allait bientôt s'asseoir,
    Car au douteux éclat des nocturnes étoiles,
    De deux camps ennemis on y voyait les toiles
    Frémir confusément sous l'haleine du soir.

    Ce guerrier était seul : son front portait la trace
    Des pénibles travaux que nul repos n'efface :
    Sous ses épais sourcils brillaient de sombres feux,
    Sa fierté, son regard, et sa taille imposante,
    Et sa main qui pressait une arme étincelante,
    Laissaient percer l'élan de ses pensers fougueux.