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LES POÈTES DE LYON 10 avril 1884. On m'a blâmé assez généralement... à Lyon, veux-je dire, de ma petite notice sur Victor de Laprade, du mois de janvier dernier. Les conclusions surtout au- raient paru s'attaquer à ce qui, ne devant pas comporter la critique, est reçu partout sans discussion. Une explication est nécessaire. La voici. Que Laprade « ne soit pas un poète » comme l'aurait dit Musset, et comme l'aurait volontiers laissé croire Sainte-Beuve, après les Poèmes civiques, lui qui l'avait annoncé le premier en 1840, cela ne peut plus relever aujourd'hui que de méchantes querelles sans droiture ni juge- ment. Le nom de Victor de Laprade s'est inscrit de lui-même au livre d'or de la poésie française. Par la stabilité, l'harmonie de ses convictions, son oeuvre triom- phante a toujours su grouper autour d'elle l'élite des cœurs purs et des honnêtes gens, et, je ne saurais trouver de plus bel éloge à co poète qu'en reportant sur son œuvre la justice qu'on doit à sa vie qui fut un exemple et un bienfait. A côté de ces questions purement morales, il en est une cependant qui n'est pas moins à considérer pour la solidité d'une œuvre littéraire : la question de l'ac- cent original ou personnel du poète, qui seule lui assure l'immortalité. « Car, il faut bien se rendre compte, comme disait dernièrement à propos du V. Hugo avant 1830, de M. Biré, M. F. Brunetière, le Sainte-Beuve contemporain, un Sainte-Beuve plus serré, plus logique mais aussi moins poète, tout pénétré qu'il est de la grande tradition française du XVII0 siècle il faut bien se rendre compte qu'en dépit d'une certaine critique, les œuvres et les œuvres seules subsistent au regard de la postérité; qu'à distance non plus même de plusieurs siècles mais d'une ou deux générations seulement, la personne n'importe plus guère... » Soulary, par exemple, est du nombre assez restreint des poètes français du siècle qui survivront, si je m'en rapporte à une impression à peu près générale, par ce cachet, cette note si bien à lui et qu'on ne trouve dans aucun autre; par cette forme si curieusement raffinée, si naturellement fouillée qui donne aux palais les plus blasés la sensation d'un piment inconnu ; enfin par ce mariage invraisemblable des sonneries audacieuses de lapoétique moderne avec •'e timbre simple et franc du temps passé. J'ai déjà dit toutes ces supériorités du sonnettiste lyonnais, dans mes deux articles de la Revue du Monde latin. Ces qualités là sont essentielles. Elles manquent précisément à Victor de Laprade. On ne les l'achète que par un grand souffle — il l'a rencontré bien souvent — ou par le génie de l'innovation, que possédait Pierre Dupont. Voyez Goppée et Sully-Prud'homme. Qu'est-ce qui les place, sans contredit, au-dessus de tous les poètes de leur génération?... Nous avons vu l'heureuse influence de Sully-Prud'homme sur les rimeurs contemporains. Quant à François Goppée, il fallait bien qu'il eût la palpitation du lyrisme, ce que Brunetière appelle quelque part.« la connaissance infuse du doigté de la poésie » en même