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12                   LA RRVUE LYONNAISE
Versailles, sans ordre ni discipline ; et, par là, de grands malheurs
eussent été épargnés. La question fut débattue dans le conseil du
roi, et ce fut à cette occasion que M. Necker dit à mon père :
« Savez-vous bien, Monsieur, que par un tel conseil, vous risquez
votre tête? » « À la bonne heure! » répliqua mon père.
   Cette résolution donc, n'ayant pas été soutenue, ne fut pas
adoptée, et la tourbe populaire fit irruption sans obstacle. Ce fut
alors que mon père se fit ouvrir la grille pour aller parler aux
meneurs. Nous suivions des fenêtres tous ses mouvements ; mais à
peine eût-il disparu dans la foule, que nous entendîmes la détona-
tion d'une arme à feu. Nous ne doutâmes pas que le coup lui eût
été adressé, et ma mère qui, jusque-là, avait fait bonne contenance,
ne put dissimuler davantage son agitation et ses craintes. Il y eut
plusieurs minutes d'anxiété cruelle. Mon père, cependant, reparut
au bout de quelque temps sain et sauf. Que le coup lui eût été
adressé ou non, il n'en avait pas été atteint; la balle alla frapper,
près de lui, M. de Savonnières, officier des gardes du corps, que
nous vîmes bientôt rapporté blessé à travers la cour.
    Enfin, dans l'après-midi, après bien des efforts, mon père était
parvenu à déterminer le roi à quitter Versailles le soir, pour se
transporter, avec sa famille, à Rambouillet où il aurait trouvé
quatre régiments de dragons sur lesquels on pouvait compter,- et
qui l'eussent mis à l'abri des attaques de la populace. Pour le coup,
mon père crut l'avoir décidé et que ce point était gagné; il s'oc-
cupa du soin de préserver aussi sa propre famille. Nous avions
besoin de deux voitures pour quitter Versailles. On en avait une
sous la main; mais la seconde était aux écuries, et, pour l'avoir,
il fallait traverser toute la place d'armes encombrée de peuple. Cette
entreprise paraissait impraticable; il l'exécuta cependant; grâce au
courage et à l'adresse d'un domestique nommé Germain qui était
attaché à notre service particulier. Il s'attela avec un autre à cette
lourde berline, et je les vois encore, ayant traversé toute cette
cohue hurlante, et se faisant ouvrir triomphalement la grille de la
première cour. Je ne comprends pas qu'on les ait laissés passer
impunément, et que, du moins, la vue de cette voiture, amenée de
la sorte, n'ait pas donné l'éveil sur notre projet de départ. Il est
vrai que rien n'indiquait qu'elle vînt des écuries de la cour.