Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
     SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T          125
 de mon père, ou bien l'abbé avait-il réussi à le persuader? Il pou-
 vait y avoir de l'un et de l'autre. Peut-être, dans ces temps mal-
 heureux, s'y joignait-il aussi un motif de sécurité, par suite de la
liaison intime de l'abbé avec le capucin Chabot, membre de la
 Convention, fameux Jacobin, et puissant personnage à cette époque.
Ils étaient tous deux natifs de Rodez, et avaient étudié ensemble.
De là leur rapprochement, malgré les voies diverses qu'ils avaient
 suivies, qui allait jusqu'à avoir un logement commun. Ils occupaient
une chambre garnie, à un second ou même à un troisième étage,
dans un enfoncement, au coin du Palais-Royal. L'ameublement
en était d'une simplicité spartiate. J'ai levé les yeux bien sou-
vent depuis vers les deux fenêtres de ce taudis ; et rien ne peut
 donner une idée del'étrangetédece temps, que de voir un enfant de
 famille noble, par conséquent persécutée, confié à un homme peu
moral lui-même, et de plus l'ami intime d'un scélérat qui faisait
verser le sang tous les jours. Au reste je donnais peu d'occu-
pation à mon ancien pédagogue réintégré. Il venait tous les matins,
me faisait réciter bien secrètement mon catéchisme, puis il allait à
ses affaires. Il venait me reprendre vers les trois-heures pour me
mener dîner, de deux jours, l'un, chez un restaurateur, et les autres
jours rue du Bac, chez mon grand-oncle, M. de Barrai, l'ancien
évêque de Troyes, etfrère de ma grand'mère.Là, je retrouvais mon
oncle, qui alternait régulièrement pour ses repas. Je ne sais où il
allait les autres joars. Il venait aussi d'autres convives chez
l'évêque; de sorte que nous étions d'ordinaire sept ou huit à table.
   Je suppose que, quanta mon oncle et à moi, ce repas régulier
était la suite d'un arrangement ; car l'évêque, privé de ses revenus
ecclésiastiques, ne pouvait guère être en mesure de tenir pour
ainsi dire table ouverte. Il faisait bonne chère, et, à ces repas r é -
gnait une grande liberté de langage sur les affaires publiques, qui
m'étonne encore à présent. Sans doute les convives professaient
les mêmes opinions ; mais on ne se gênait pas devant les deux do-
mestiques qui servaient à table, un valet de chambre et un laquais ;
à la vérité, c'étaient d'anciens serviteurs éprouvés dont la fidélité
ne s'est jamais démentie. Ce n'était pas le seul exemple de dévoue-
ment dans cette classe, et cela a toujours fait mon admiration. Au
reste, je ne fais ces remarques qu'après coup, et instruit par l'ex-