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6 • LA REVUE LYONNAISE qui dominait le Bosphore, ombragée par d'immenses pins en parasol. Elle existe encore, et les cimes de ses beaux arbres se balancent toujours sur les têtes des promeneurs. Tout à côté, et plongeant sur cette terrasse, en était une autre qui tenait à la maison de campagne d'un pacha. Ce dignitaire y passait la journée presque entière, accroupi sur un divan, sous de beaux arbres et sous ce beau ciel, insouciant de ces trésors prodigués par la nature à cette superbe contrée; absorbé qu'il était dans la fumée de sa pipe et les charmes du dolce far niente. Mais ce dernier plaisir était troublé par la vue du sentimental secrétaire, qui, de son côté, arpentait régulièrement sa terrasse en composant ses vers. L'histoire rapporte qu'un jour on annonça, à l'ambassadeur de France, un messager du pacha, son voisin, lequel, après force saluts à l'orientale, déclara qu'il avait une grâee à demander à Son Excellence, de la part de son maître. « De quoi s'agit-il? » — « Monsieur l'ambassadeur, vous avez, chez vous, un malheureux criminel qui est depuis longtemps condamné au rigoureux supplice de faire, sans fin et sans cesse, le même nombre de pas dans toute la longueur de la terrasse de votre palais. Cette vue est insuppor- table au pacha et trouble incessamment son repos. Il vous conjure dédaigner pardonner à ce criminel; mais, dans le cas où son méfait serait indigne de pardon, veuillez ordonner qu'on lui applique une centaine de coups de bâton sur la plante des pieds et que ce soit fini. » J'avais onze mois lorsque je quittai Constantinople, et je ne le revis que plus d'un demi-siècle après. Mon père, qui songeait déjà à quitter ce poste qu'il avait si longtemps occupé, envoya d'avance en France une partie de sa famille. Ma sœur ainée, Constance, s'y trouvait déjà . Elle y était née pendant un voyage de congé de mes parents,et on l'y avait laissée. Quant aux autres,on les embarqua, ma seconde sœur Anastasie, plus âgée d'un an, et moi, sur un vaisseau marchand qui partait pour Marseille, avec une seule bonne pour les deux; seulement bien recommandés au capitaine. On ne faisait pas beaucoup de façons dans ce temps-là avec sa progéniture; et cela n'en valait peut-être que mieux. Aujourd'hui le plus mince particulier aurait peine à se résoudre à expédier ses enfants pour un tel voyage, avec aussi peu d'apprêts que le faisait