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92 LA R E V U E LYONNAISE avec une patience semblable. Il semble, au premier coup-d'ceil, que les recher- ches n'ont point dû être bien pénibles ni bien ardues, et qu'elles ont été certai- nement facilitées par la proximité relative des temps dont il est question dans l'ouvrage. Pour ma part je ne saurais partager cette opinion, au moins en ce qui concerne le Directoire. Que l'on veuille bien remarquer, en effet, quelle singula- rité est le caractère typique de cette époque, combien minime, par conséquent, a été son influence sur le développement ultérieur des usages de la nation, et l'on reconnaîtra, avec moi, qu'il n'était pas toujours bien aisé de retrouver cer- taines traces profondément effacées. Préciser, comme l'a fait l'auteur, les cir- constances qui accompagnèrent la renaissance des lettres et des sciences, con- damnées au silence par une Révolution qui n'avait pas besoin de savants, n'était point non plus une tâche fort aisée. Le bibliophile Jacob s'en est tiré à merveille et les chapitres qu'il y consacre sont des plus intéressants. Singulier est le spectacle qu'offrait aux regards la société française après que la révolution de thermidor fût venue clore l'ère de la guillotine. Ce fut alors, selon le mot du spirituel comédien Dazincourt, la Régence de la Terreur. Les femmes qui avaient fait la contre-révolution, reprirent la place dont les avait dépouillées l'austérité hypocrite du jacobinisme. Déesses d'un monde qui re- naît à la vie, elles s'avancent souriantes dans la presque nudité de leurs sœurs de l'Olympe, alors à la mode, et sur les traces desquelles elles se précipitent. Une gaze légère et diaphane les environne, semblable au léger nuage qui dérobe aux regards des mortels l'épouse du Maître des dieux : les bras et les épaulessont nus, les doigts des pieds également nus sont chargés de bagues d'or. On pèse dans un salon la toilette d'une merveilleuse, bijoux compris, le poids ne monte pas à une livre. L'impudeur est inouie parmi ces femmes enrichies et dont la plupart sont totalement dépourvues d'éducation première. jPrcs d'elle papillonnent les merveilleux, les incroyables, les muscadins, dans leur défroque hétéro- clite, portant, comme dit l'opérette : Perruque blonde et collet noir. Leur éducation intellectuelle et morale est aussi peu avancée que celle des femmes : complètement privés d'idées religieuses, ils se laissent guider unique- ment par leurs sensations. Tout le monde connaît le tableau qu'a fait Musset de la jeune génération du premier empire, dans les pages brûlantes par lesquelles s'ouvre la Confession d'un enfant du siècle. En 1795 on n'en est point en- core là : le doute ne travaille pas les esprits, indifférents à toutes préoccupations qui n'ont point pour but la satisfaction des intérêts matériels. Le plaisir est le seul dieu que l'on reconnaisse et dont les temples ne manquent pas de fidèles. Sous ses formes multiples, il s'épanouit. Le luxe que déploient pour leur table et leurs réceptions les financiers enrichis est véritablement inouï, les sommes qu'ils y engloutissent sont colossales. La danse et la musique font fureur : Trénis et Ga- rât sont de toutes les fêtes, On joue avec frénésie. Au Palais Egalité, toutes les sensualités trouvent à se satisfaire : traiteurs fameux, tripots, filles de haut parago y pullulent. La littérature se fait complice de la dépravation générale : les romans erotiques, sur lesquels le public, auquel s'adresse l'auteur, ne lui a pas permis de s'étendre, étalent à tous les yeux dans les vitrines des marchands leurs g r a - vures libres. Déjà ils avaient pris leur essor, pendant les mauvais jours de la période révolutionnaire, et chose qu'il convient de ne point oublier dans l'his-