Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                               BIBLIOGRAPHIE                                      211

mots composés n'apparaissent qu'à l'état d'exception. Au reste, pour convaincre
de la vérité de ces observations, l'en n'a qu'à feuilleterla traduction de M. Froment.
Un exemple, pris au hasard, fera mieux voir que toutes les critiques les résultats
auxquels conduit un pareil système.
  J'ouvre le tome premier à la page 169.
            Disant, elle a tourné ses beaux coursiers au loin :
            Lés dételant du char, les Heures en ont soin
            Dans la divine crèche, aux brillants murs étayent
            Ce char d'où toutes deux fort chagrines s'asseyent
            Sur l'or parmi les dieux: Jupiter de l'Ida
            Poussa son brillant char, ses coursiers qu'il guida
            Vers l'Olympe où siégeait l'assemblée immortelle ;
            Le glorieux Neptune aussitôt lui dételle
            Les courisers de son char que sur l'estrade il met
            Sous un voile de lin qu'il déploie au sommet


   Je gage que si Panurge eût parlé à Pantagruel semblable langage, celui-ci ne
l'eût pas mieux compris que lorsqu'il lui parlait danois ou bas-breton. C'est pour-
tant ce que M. Froment appelle « donner à la version française le charme de la
forme poétique » ; qu'on dise si une bonne version en simple prose n'est pas mille
fois préférable. Comme terme de comparaison, j'ai pi is celle de M. Giguet. Voici
comme cet auteur traduit le passage en question :
    « Elle dit, et retourne le char; les Saisons détellent les coursiers à la belle
crinière, les attachent devant les crèches divines, et appuient le char contre le
mur éclatant. Les déesses cependant se placent sur des sièges d'or et se mêlent
aux autres dieux, le cœur contristé. Jupiter alors dirige son char du haut de l'Ida
vers l'Olympe, et revient à l'assemblée des dieux. L'illustre Neptune dételle les
coursiers, pose le char sur une estrade, et le couvre d'un voile de lin ».
    Cette traduction conserve, à mon sens, tout aussi bien le souffle, le cachet homé-
rique que celle de M. Froment et elle a de plus l'avantage très appréciable d'être
 écrite en bon français.
    Mais au moins la version de M. Froment est-elle le « calque précis » du texte
 grec? Il est permis de le contester. En effet, dès le premier vers, la condition ne
 me paraît pas remplie. M. Froment traduit : <5; cipa cpwvr^acra, par disant, mais
 ce faisant, il ne rend pas la particule .m'jyrjyoQ,solipède, qui n'a pas la corne
 du pied fendue, où la trouvons-nous traduite? Nulle part. M. Froment se contente
 de mettre : ses beaux coursiers : or l'adjectit très imagé -/.aX).âpr/aç, à la belle
 crinière, ne se trouve qa'au vers suivaat et n'est pas traduit non plus.
    Il me serait facile de poursuivre cet examen, et d'établir, ce qui n'a guère besoin
 d'être prouvé, qu'une traduction entreprise dans les conditions indiquées plus haut
 devait fatalement échouer. Il est regrettable seulement que l'auteur ait dépensé
 une somme de travail, et j'ajoute de patience, aussi considérable que celle qu'il a
 dû déployer, pour ne produire rien de durable. Il fallait ou écrire en prose ou
 renoncer à s'enfermer dans cette sorte de lit do Procuste où il a volontairement
  captivé ses facultés et paralysé ses moyens.              CH. LAVENIR.