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416 LA R E V U E LYONNAISE Certes, Victor de Laprade est une personnalité considérable. L'histoire de son œuvre qu'achève en ce moment un éminent panégyriste, M. Condamin, sans interrompre pour cola les études de M. Ed. Biré dans le Correspondant, se confond avec celle du milieu ou il a vécu. Et cette réunion de belles âmes dont quelques-unes ont appartenu aussi aux fastes lyonnais du dix-neuvième siècle n'est pas la moins glorieuse que retiendra la mémoire des hommes. Le sentiment religieux de Victor de Laprade tout empreint de son libéralisme, lequel était sortie de la philosophie platonicienne et panthéiste de sa première jeunesse, anima sa poésie d"un vrai souffle, mais pour la maintenir à de trop grandes hauteurs. Si belle que soit VImitation de Corneille, elle est de ces élé- vations supérieures à l'homme, auxquelles l'homme refusa toujours de s'habituer. Parfois cependant, quelles beautés nous y entrevoy ons ! Certaines pièces de Laprade ont de ces symphonies qui atteignent la sereine largeur des quatuors de Mendels- sohn. Mêmes qualités chez le poète et le musicien, moins cette chaleur de fond qui est la caractéristique de celui-ci, et même défaut, l'invincible monotonie ! Pour ne pas vouloir aborder l'œuvre de Victor de Laprade, je craindrais d'en avoir trop dit. Mais il a si bien côtoyé le groupe que visent ces études que je ne regrette pas d'avoir insisté si longtemps. On peut, en effet, répartir en deux catégories la famille des penseurs lyonnais : les mystiques et les philosophes. Philosophes, ils le sont tous. Mais je prends l'acception du mot dans le sens détourné pour mettre sous la même égide : José- phinSoulary, Chenà vard, le grand peintre, duquel nous traiterons plus loin, et .leanTisseur, qui fut le complément, l'âme elle-même de ce trio de fins esprits. Son départ l'a déséquilibré. — Je puis y ajouter encore Louisa Siefert. Et voilà , d'un autre côté, par la mort de Laprade, que le groupe des mystiques, n'a plus même de représentant. C'étaient Ballanche, Quinet, Flandrin, Barthé- lémy Tisseur, Ozanam, Laprade et Blanc de Saint-Bonnet. Où sont-ils maintenant tous ceux-là dont l'esprit avait un jour passé triomphant sur la foule?.., Ils avaient la foi et l'espérance. Que n'en puis-je autant dire de nos philosophes!... ( Celui-ci n'est à la lettre, ni un peintre, ni poète, ni un savant, mais une > espèce de gymnosophiste qui passe sa vie à discuter sans fin ni sans repos. » C'est ainsi que Théophile Sylvestre commençait la biographie de Chenà vard, dans son livre sur les Artistes vivants. Ce qu'il disait en 1856 est encore vrai en 1884. Ni l'esprit, ni la physionomie de Chenà vard n'ont changé. « Ce docteur en toute chose avale les systèmes d'une bouchée, bâtit d'ingénieuses théories qu'ils renverse comme des châteaux de cartes pour en construire de nouvelles qu'il dé- truit encore, et enfin son âme, jonchée de ses propres ruines, devientun désert » Le malheur de sa philosophie c'est qu'elle est d'un artiste. L'éclectisme de ses tendances en a fait un raisonneur éternel. 11 devient philosophe en cessant d'être philosophique, mais il reste toujours et partout poète et profondément artiste, c'est-à -dire absolu en rien. « C'est entre Co'rrège et Michel-Ange, a dit Charles Blanc, que l'auteur de la Divine Tragédie a cherché et trouvé sa voie, appliquant une peinture douce à des formes emprisonnée dans des contours résolus, modelant les unes avec énergie, les autres avec délicatesse, mais toujours sans touches par ce que les touches sont contraires au style. » Chenà vard passe pour avoir peu produit. L'œuvre de sa maturité, ses cartons pour le Panthéon, embrassant l'histoire de l'homme, qu'il avait conçus dès