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 412                       LA REVUE LYONNAISE
       Li porto-fais, gai cambarado,                    Les porte-faix, gais compa-
       Li ribeirôu, franc Prouvençau,                 gnons, — les gens du quai, francs
                                                      I^rovençaux, — dès qu'ils la voient
       Entre la vèire dins la rsdo,                   entrer en rade, — devant la bar-
       Davans la barco fan très saut !                que font trois sauts : — « Houp
              — Zôu ! à l'assaut,                     à l'assaut, — gais compagnons! »
                                                      — Et ils font trois sauts.
              Gai cambarado !
              E ian très saut.

       Lou bastimen vèn de Maiorco                      Le bâtiments vient de Marjor-
                                                      que, — avec un chargement d'oran-
       Emé d'arange un cargamen ;                     ges : — on a couronné de guir-
       An courouna de verdi torco                     landes vertes — l'àrbre-maître du
       L'aubre-mèstre dôu bastimen :                  bâtiment ; — heureusement, — de
             Urousamen,                               Majorque arrive — le bâtiment.
             Vèn de Maiorco
             Lou bastimen.
                             F.   MISTRAL.




    Après trois jours de félibrées avignonaises, le 16 janvier, après trois jours
 ensoleillés d'un hiver trop clément, Mistral était retourné à Maillane corriger les
 épreuves de Nerto, Bonaparte-Wyse aux Chênes-Verts endormir sa goutte
 dans les bras de l'ami Séménow, et Roumanille, écrasé par la grosse vente
 de Mireille illustrée, « à sa boutique», comme il dit gaiement. Moi, j'étais
 reparti le dernier, m'arrachant avec peine à ces joyeuses felibrejado d'A-
 vignon et de la Barthelasso, heures exquises de poésie et d'amitié qui auront
 été les plus belles de ma jeunesse. Et Aubanel, me reconduisant, attisait
encore mon regret par la perspective de la fête qu'ils allaient faire demain,
 Arène, Grivolas, Félix Gras et lui, à trois bouteilles de Ghàteauneuf, — du divin
Châteauneuf-des-Papes dont Mathieu seul a sauvé quelques ceps du phylloxéra
envahissant, — qu'il avait enfin résolu de rendre à la lumière.
   Le lendemain matin donc, onze heures sonnant, nos trois bons compagnons
passaient le Rhône, et, dédaignant la Barthelasse, s'installaient au Chêne-Vert dans
le cabaret de la mère Abrieu. Charmant réduit, ce cabaret de la mère Abrieu,
dans les platanes et les saules, avec une échappée sur le Rhône et les Alpilles
bleues, au loin. On va de préférence, le soir, à la Barthelasse quand le soleil mou-
rant dore d'un reflet mélancolique les remparts d'Avignon. Et souvent, la nuit
venue, le rêveur qui promène ses pas dans l'île entend sortir de ces enclos
légers de roseaux secs, où l'on dîne au murmure du fleuve, la chanson féerique
d'Aubanel :
                                Dôu goutique Avignon
                                 Tourriho e tourrihoun
                                     Fan de dentello
                                     Dins lis esteilo !
    On félibrait donc, ce jour là, au Chêne-Vert. Mais, à la surprise de ses hôtes, au
lieudestrois flacons promis, Aubanel,homme prudent, n'enavait apporté que deux.
   Courroucés, Félix Gras etPaul Arène improvisèrent, sur l'air du Bâtiment, les
charmantes strophes qui suivent.