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UN S C U L P T E U R F É L I B R E 333 Ses ancêtres sont Goethe et Virgile. Il a du premier le procédé de conception, et du second la ligne de conduite. L'œuvre de Goethe est, à vrai dire, toute de concentration ; celle de Mistral, toute d'enthousiasme. Mais, chez les deux poètes, même sérénité de vues, môme esthétique idéaliste, même égalité olympienne. Goethe serait plus olympien, Mistral plus apollonien: l'égoïsme de l'un n'est que fierté chez l'autre... Mistral, en effet, comme Goethe, est un ancien, mais un ancien qu'illumine un rayon de christianisme. D'où lui vient certaine tendresse qui manque au poète allemand et le fait accuser de réalisme plus souvent qu'il n'en est coupable. Si nous voulions poursuivre la comparaison, nous trouverions encore une similitude entre les deux Faust et les deux poèmes dufélibre. Mireille et Calendal ne représentent-ils pas le premier et le second Faust chez Mistral? L'un plus humain, plus lumineux de simplicité naturelle ; l'autre plus asbtrait, plus profond. Tout le poème de la Provence est à am Mireille et Calendal, comme le poème du Doute est dans les deux Faust.,, Et l'une et l'autre de ces créations sereines, microcosmes de poésie, tendraient à s'effacer du monde, qu'une simple chanson [Magali et le Roi de Thulé) les rendrait sans cesse à la vie !... Car voilà les poètes ! Imposer à l'esprit des peuples une conception univer- selle, humaine, quand ils l'ont retrempée aux sources de leur âme, — et la faire à jamais régner sur les lèvres des hommes !.. * t- Je parlais tout à l'heure de la ligne de conduite de Virgile dans la pensée, dans l'œuvre de Mistral. Si je ne craignais pas de me voir reprocher mes éternelles comparaisons, — comme si une idée pouvait briller assez de sa propre lumière ! — je développerais cette assertion dans ses derniers retranchements. Mais ne voyez-vous pas la même gradation de Mireille à Calendal que des Eglogues aux Gêorgiques, en tant que visions de la nature ?... Mistral aura jusqu'à son Enéide. Si vous considérez l'épopée de Virgile pour ce qu'elle paraissait aux Romains, le thésaurus des légendes nationales, attendez de notre poète la publi- cation de Nerto et l'achèvement de son drame sur la Reine Jeanne ! Le poème et le drame mettent en scène les héros historiques de la Provence au xive siècle. Et c'est de la légende pure ! Si bien que Nerto, qui nous reporte aux papes d'Avignon et à la république d'Arles, sans s'écarter jamais de l'histoire, tien- drait plutôt du conte de fées que de la chronique rimée. Voilà , certes, de belles et bonnes actions, que le même patriotisme embrase tout entières. Donnez-leur comme couronnement le Trésor du félibrige, ce dictionnaire géant de la langue d'oc, que poursuit généreusement le poète depuis près de vingt ans, et, comme satellites à tous ces astres, les merveilleux joyaux des lies d'or, et vous aurez l'une des œuvres les plus admirables en même temps que les plus fécondes du xix° siècle 1 . * P. Mariéton. Les hommes des pays latins. Frédéric Mistral (Le rôle du poète et Mistral prosateur).