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                     FANTAISIES NIÇOISES                         269
   Du reste ce sont là des exceptions. D'habitude, tout se passe
avec ordre, pour la plus grande joie des spectateurs petits et
grands, de toute provenance et de tout sexe. Les taureaux font
semblant d'être ahuris, et courent gauchement de côté et d'autre
 dans l'arène. Les toréador es les excitent, les agacent, brandis-
sant banderillas, capes et muleta, crient, vont, viennent, courent,
franchissent d'un bond la barrière, reviennent, font des prouesses,
triomphent, saluent le public. Les spectateurs sont émus, enlevés,
se passionnent, applaudissent avec frénésie. Nous en avons vu
battre des mains, comme les Romains de nos théâtres, jeter aux
toreros des fleurs, des cigares, des oranges ; lancer leur chapeau
dans l'arène. Un orchestre remplit l'amphitéâtre de ses flons-flons
cuivrés. Une fanfare de trompettes aïdiennes marque l'entrée de
chaque taureau. On est empoigné et cloué à sa place malgré soi.
   Le spectacle se termine par une pantomime la plus cocasse du
monde. Un malade est au lit. Le médecin lui a tâté le pouls.
L'apothicaire lui a administré, par le côté que des architectes
italiens nommeraient sa faeciata minore, une boisson rafraî-
chissante, il avale d'ailleurs force lochs, potions, tisanes et mé-
decines. De nombreux amis lui adressent leurs compliments de
condoléance. Tout à coup un taureau paraît. Le malheureux qui,
tout à l'heure, avait à peine la force de geindre, saute de son lit,
et s'enfuit en bondissant comme les chèvres dans les idylles de
Théocrite, Gela est intitulé le Malade imaginaire. Cette pan-
tomime n'est-elle pas, en effet, comme la conclusion et la morale
de la comédie-ballet de Molière ? Il 3' a là une idée à creuser.
Je propose à M\I. les sociétaires de la Comédie Française qui,
cette année, ont vu, d'un air pensif, leur part sociale misérablement
réduite à la somme de trente mille francs, d'intercaler ce petit
divertissement dans leur Malade imaginaire. Cela fera peut-
être monter la recette. Il y aurait peu de chose à faire pour le
bien amener. Au troisième acte, par exemple, quand Béralde rend
visite à son frère et le traite de fou, lui disant qu'il n'est malade
que d'imagination, Argan répondrait de cette manière :
   « Hé quoi ! mon frère, je ne suis point malade véritablement,
dites-vous ? et toute ma maladie n'est autre chose que la peur que
j'ai de le devenir? Se peut-il que vous teniez devant moi des