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                      FANTAISIES NIÇOISES                         267
 La vue du sang, coulant de « larges blessures», aurait arraché
 aux sensibles miss, membres des sociétés royales contre la vivi-
 section des petits lapins, des « oh! » prolongés de réprobation. Les
 Parisiennes auraient été obligées de s'évanouir derrière leurs éven-
 tails. Les philosophes de l'endroit auraient disputé à perte de voix
 sur l'atrocité ou la non-atrocité de ce spectacle. Aussi sont-ce des
 courses, revues, corrigées, mitigées et considérablement réduites
que l'on nous offre aux arènes de Nice : quelque chose comme une
édition expurgée, ad usum Delphini, d'un auteur classique, mais
scabreux.
    On ne tue pas le taureau. On ne lui introduit dans le corps au-
cune substance étrangère sous forme de banderilla ou autre. On
ne l'attaque ni à pied, ni achevai. On ne lui fait aucun mal. Il n'est
l'objet d'aucune vexation. Au contraire, on a pour lui les plus
grands égards. Il est logé, nourri, dorloté comme un nabab. Tout
au plusse permet-on vis-à-vis de lui quelques innocentes agaceries.
Les toreros, en bons camarades, jouent à cache-cache avec lui.
Tout se passe comme entre gentlemen bien élevés, qui se livrent, à
jour fixe, à quelque sport violent, par hygiène et par distraction.
    Ces taureaux sont originaires de la Navarre, comme la maison
royale de France. Il y en a de brans, d'alezans brûlés, de mou-
chetés, et d'autres entièrement noirs, comme les chevaux del'Erèbe.
Ils ont le corps trapu, les jambes maigres et nerveuses, la tête car-
rée et ornée d'une paire de cornes immenses à faire envie à Sga~
narelle. Leur tournure est fière et sauvage. Ils paraissent très
étonnés de se voir si loin de chez eux, dans un si beau cirque, au
milieu de cette foule élégante, où brillent les « boudinés » et les
« pschutteuses » du monde entier. On en présente six à chaque
matinée. Tous portent des sobriquets engageants, commeel Tigre,
el Terrïblo, el Tormento, etc. Du plus pur espagnol, comme l'on
voit.
   Les toréadors aussi sont des Espagnols, des plus célèbres cua-
drillas. Ils portent galamment le costume popularisé parle baryton
àeCarmen. Veste écourtée sous le bras, comme les gentilshommes
du temps de Louis XIV, taillée dans le velours, la moire ou le
satin, chamarrée de lourdes broderies d'or et d'argent. Culotte
assortie à la veste. Toque d'astrakan à pompons pittoresquement