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246                  LA REVUE LYONNAISE
il était des leurs. Sans avoir de taie sur l'œil, il avait un peu de
poussière dans sa lunette; il était philosophe, en un mot, mais, sur
un signe du maître, les philosophes le repoussèrent.
   Cette petite infamie ne troubla nullement la sérénité des Welches.
On rit encore quelque temps des fagots de Tourney, puis le calme
se fit à l'entour, comme en toutes choses, et l'aventure s'oublia. Le
poète se réjouit paisiblement de son triomphe dans sa seigneurie,
et le magistrat ne parut point affecté sur son siège. Il avait en
hauteur ce que l'autre avaiten vanité : il sut dignement supporter
l'injustice. Leurs relations se rétablirent cependant un jour : in-
quiet de ses abus de jouissance, et désireux de légitimer par une
 acquisition définitive les infidélités nombreuses faites à son contrat
 primitif, dont il avait fait une charte normande, Voltaire tenta de
 nouveau d'acheter Tourney ; il écrivit àM. de Brosses qu'il ne con
 servait point de rancune, et qu'il sollicitait l'honneur de mourir
 dans ses bonnes grâces. Le président répondit avec esprit et sans
 aigreur, mais il refusa nettement. L'intervention du garde des
 sceaux, Miromesnil, ne put vaincre sa résolution. Il mourut, ainsi
 que Voltaire, sans avoir réglé leurs comptes, et l'affaire des fagots
 ne se termina qu'en 1781, époque à laquelle Mm° Denis paya au fils
 de M. de Brosses une somme de 27,878 livres comme indemnité des
 dilapidations de son oncle.
   Une si misérable querelle ne méritait pas tant de place. Mais elle
 nous ramène à la correspondance dont je me suis un peu écarté, au
 moins en apparence, car sans elle, sans les curieux d'autographes,
 qui ont ainsi préparé la besogne de M. Louis Moland, nous igno-
 rerions aujourd'hui cette épisode qui dépeint si bien l'humeur de
 Voltaire. Que d'exemples semblables pourrions nous emprunter à
 ce vaste, à cet effrayant recueil? Effrayant: par le volume, car,
 répétons-le à satiété, la lecture n'en est nullement effrayante, bien
 au contraire. On s'en détache même avec peine, tant ce style est
 alerte, vif, chatoyant, inimitable, tant il coule de source. Et pour-
 tant, ce sont, à chaque page, les mêmes débats chétifs, les mêmes
 procédés mesquins, les mêmes artifices d'un rare esprit qui se dé-
 pense, sans jamais s'épuiser, dans de folles chicanes, au service
 d'intérêts étroits et futiles ! Pour n'en citer qu'une seule, lisez les
 lettres relatives au curé de Moëns, et à la campagne ouverte par