Revue lyonnaise » n°7 ( 1884 ) » pp.243

             LA CORRESPONDANCE DE VOLTAIRE                          243
marqués ou abattus ne seraient pas compris dans le bail. Le nou-
veau seigneur eut besoin de bois de chauffage; il s'adressa natu-
rellement à Baudy, sur la recommandation duprésident; mais, quand
il fallut payer, il prétendit quelebois lui appartenait sans réserve.
En bon commerçant, Baudy fit argent de cette réponse et, un jour,
M. de Brosses fut stupéfait d'apprendre qu'il pourvoyait à ses
dépens au chauffage de son locataire. Que l'on s'offre, entre gens
bien élevés, des dragées ou un panier de pêches, la chose est com-
mune; mais quatorze voies de bois, personne ne s'était encore avisé
de cette galanterie. Le magistrat, qui était aussi bon administrateur
de sa fortune privée que son fils, préfet du Rhô-ne sous la Restaura-
tion, le fut de notre département, le magistrat assigna en paiement
Baudy qui, à son tour, fit assigner Voltaire.
    Avez-vous quelquefois rencontré sur l'Océan un de ces fiers cui-
rassés portant à la corne de leur mât le pavillon rouge et bleu qui
prétend à la souveraineté des mers? A leur approche, il n'est si
rapide steamer qui ne s'arrête; il arbore ses couleurs, le canon
tonne, et, sur un nuage de fumée, envoie son salut aux couleurs
britanniques. 11 y a cent vingt ans, c'était là Voltaire. L'exploit de
l'huissier le fit bondir sur son théâtre de Tourney, où il était en train
de jouer ses pièces, et, d'un geste, il retrouva sa vieille plume de
procureur. S'il aimait la comédie, il aimait, quoiqu'il en ait dit,
 encore mieux les procès. La cour et la ville, Paris et Dijon sont
 aussitôt inondés de ses mémoires, dans lesquels il bafoue le prési -
 dent et l'accuse, devant ses collègues, d'avoir simulé un acte de
 vente, et de le spolier au moyen d'un faux. îl ne s'agit plus d'épi -
 grammes sur Yantifètichier,       ainsi qu'il appelait M. de Brosses,
 par allusion k son traité sur les Dieux fétiches : « Qu'il tremble !
 il ne s'agit pas de le rendre ridicule, il s'agit de le déshonorer. » En
 même temps, il répand partout une lettre dans laquelle, après mille
 mensonges, il reproche d'un ton dolent à son adversaire d'avoir
 surpris sa bonne foi, de rainer sa famille, de refuser l'arbitrage du
 chef du parlement, et d'empoisonner par la chicane les derniers
 jours de sa lamentable existence.
   La loyauté de l'homme n'était pas moins compromise que la di-
gnité du magistrat. Achille n'aurait pas eu de talon s'il eût gardé
le silence. M. de Brosses répondit en ces termes :