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240 LA R E V U E LYONNAISE — « Comment! s'écrie-t-il, votre roi me veut arrêter ici, dans une ville impériale ! Pourquoi ne l'a -t-il pas fait dans ses États? Vous êtes un homme sans miséricorde, vous me donnez la mort, et vous serez tous sûrement dans la disgrâce du roi. » C'était Voltaire lui-même qui s'y trouvait, et ajuste raison. Il n'avait omis qu'une chose, la restitution d'un poème satirique où le monarque prussien s'égayait librement sur Louis XV et Mme de Pompadour. Il emportait avec lui sa petite vengeance. Elle lui fut arrachée à l'allemande; ses malles, ses bijoux furent saisis, ses cassettes ouvertes et son argent séquestré; des gardes furent placés à sa porte, à cent vingt-huit écus et quarante-deux kreutzers par jour, dit Mme Denis, et il ne parvint à s'échapper que le 7 juillet des mains de l'obéissant mais avide Freytag ; le Salomon du Nord s'était subitement transformé en Denys de Syracuse. L'aventure était brutale; elle n'honoraitpoint Frédéric, mais elle discréditait Voltaire. Son sens si fin le comprit, et, après avoir jeté les premières clameurs, après avoir fait retentir de ses plaintes les cours de l'Europe, notamment celle de Vienne, il se tut aussitôt. « Mon cher ange, écrit-il à d'Argental, il faut savoir souffrir : l'homme est né en partie pour cela. Je neCToispas que toute cette belle aventure soit bien publique : il y a des gens qu'elle couvre de honte; » puis il ajoute, comme pour se tromper lui-même : « elle n'en fera pas à ma mémoire. » A dater de ce jour, Voltaire voulut être chez lui. De recourir aux rois vous seriez de grands fous. Le conseil de La Fontaine lui parut bon, et, las des dangereuses amitiés des princes, il jura de les tenir à distance, de ne plus, au moins, les mettre de moitié dans sa vie. Dès le 12 septembre 1754, il écrit à Mra0 de Fontaine : « Pour mon billet d'avoir une terre, ma chère nièce, j'espère l'acquitter si je vis. » Son idée est de mourir « parfaitement libre »; il veut être de toutes les nations pour ne relever d'aucune, ni sujet d'un roi, ni citoyen d'une république. Les copies delà Pucelle commencent d'ailleurs à se répandre, et la crainte du parlement l'empêche de dormir. II s'installe d'abord à Lausanne, puis aux Délices; il achète Ferney; mais cela ne lui suffit pas : il faut avoir les « quatre pattes » en quatre lieux diffé-