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             LA CORRESPONDANCE DE VOLTAIRE                         239
 mettait au chevalier de la Touche, ainsi que le constate une copie
 trouvée dans les papiers de ce dernier, puis adressait à M. Falkener
 et au libraire Walther, de Dresde, une note destinée à faire con-
 naître, par la voie des journaux, qu'il avait spontanément renvoyé
 au roi son cordon, sa clef et ses titres de pension. Il priait en même
 temps M. de La Touche d'être son arbitre, d'intercéder près du
 roi. Il avait à cœur de ne point paraître chassé.
    Cependant, le 13janvier, sa nièce, Mme Denis, alors à Paris, rece-
 vait une lettre ainsi conçue : « J'ai renvoyé au Salomon du Nord,
 pour ses étrennes, les grelots et la marotte qu'il m'avait donnés et
 que vous m'avez tant reprochés. Je lui ai écrit une lettre très res-
 pectueuse, car je lui ai demandé mon congé. Savez-vous ce qu'il a
fait? Il m'a envoyé son grand factotum de Fredersdorff, qui m'a
 rapporté mes brinborions. Il m'a écrit qu'il aimait mieux vivre
avec moi qu'avec Maupertuis. Ce qui est bien certain, c'est que
je ne veux vivre ni avec l'un ni avec l'autre... Je veux partir abso -
lument ; c'est tout ce que je peux vous dire... » Il le répétait dans
des termes moins élégants au marquis d'Argens : « Il est vrai que
j'ai enfoncé des épingles dans le c..., mais je ne mettrai point ma
tête dans la gueule. »
    Frédéric semblait, en effet, lui avoir pardonné. Il lui avait fait,
comme Voltaire l'écrit à d'Argental, chauffer son appartement à
Postdam, et le poète, réconcilié en apparence, quoique cela lui sem-
blât encore fort difficile de souper désormais avec un homme «ja-
loux et soupçonneux », qui lui portait envie, dit-il, alla, vers la fin
de mars, implorer son congé.
    Frédéric ne pouvait, selon lui, soutenir le tête à tète d'un maî-
tre qui l'avait enseigné deux ans, et dont la vue devait lui donner
des remords. Voltaire put enfin partir, non sans avoir reçuunesorte
de cartel de Maupertuis qui le menaçait d'aller le trouver partout
où il irait, pour tirer de lui vengeance. Mais à peine est-il arrivé à
Francfort qu'il y est arrêté avec sa nièce, et qu'un baron deFrey-
tag, résident du roi de Prusse, lui remet, au nom de son souverain,
le billet suivant :
   (f Monsieur, sitôt le grand ballot, où est l'oeuvre de poeshie que
S. M. redemande, sera ici, et l'œuvre de poeshie rendu à moi, vous
pourrez partir où bon vous semblera. »