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                                    FELIBRIGE                                          193
   — 11 ne vaut, certes, pas la peine de s'attabler pour si peu, dit Boniface.
Savez-vous quelle est mon idée?...
   — Tirons-le à la courte paille.
   — Vendons-le !
   — Nenni!... Voici : si vous m'en croyez, celui de nous trois qui, cette nuit,
fera le plus beau songe, gagnera le lapereau Consentez-vous ?
   — Soit ! dit Filougon.
   — Bon ! fit Sauvien.
   Le lendemain, ils se réunirent de nouveau.
   — J'ai gagné, dit Filougon, joyeux et gognenard Oh ! camarades, quel songe !
quel magnifique songe! Jamais dans ma vie, jamais songe pareil. Les anges sont
venus me chercher, et m'ont emporté dans leurs bras, oh ! que c'était donc
agréable ! Et ils me balançaient doucement, et me souriaient, Il me semble
qu'ils me dorlotent encore !... Et quelle délicieuse musique faisaient leurs ailes
en volant ! .. Hélas ! ai-je été penaud, quand jo suis éveillé !
   — Eh bien ! dit Sauvien, tu ne mangeras pas le lapin. Tu montais au paradis,
toi^etmoi... j'y étais!! J'étais dans les hauteurs du troisième ciel, et, de là-haut,
je voyais toute une volée de chérubins qui portaient en triomphe notre beau
Filougon! Tu semblais un soleil, Confrère! Et les chérubins nous amenaient
Filougon resplendissant, et ils chantaient en chœur, frémissants d'allégresse...
— Et toi, Boniface ?
   — Eh bien! moi, fit Boniface, quand j'ai vu, en songe, que Sauvien était aux
pieds de Dieu, et que Filougon y montait sur les ailes des anges : — Ah ! me
suis-je dit, ils se fichent pas mal du lapin, maintenant. Et, ma foi, je l'ai
mangé.


  — Yau segur pas la peno de se bouta '11 trin, venguè Bounifàci... Sabes pas ço qu'ai
pensa? ..
  — Tiren-lou à la paio eourto !
  — Se lou vendian!...
  — Noun! Lou de nàutri très que, la niue que vèn, fara lou pu bèu sounge, lou lapin sara
siéu. Voulès?
  — Eh bèn ! vague, digue Filousoun.
  — Zôu! digue Sauvian.
  E se desseparèron, pèr se revèire l'endeinun.
  L'endeman, s'acampèron mai :
  — Ai gagna, vèn Filougoun tout galoi ! Oh! cambarado, quête sounge! lou poulit sounge !
Oh! jamai de la vido!... Lis ange me sounvengu querre, e me pourtavon à la brasseto...Eh !
qu'èro brave! E me tintourlavon, e me risien... Me sèmblo que ié siéu. E sis alo en voulant
fasien uno musico!... Oh! coume siéu esta ne quand me siéu reviha !
  — Eh! bèn, digue Sauvian, as perdu lou lapin. Anaves en paradis, tu, e iéu, i'ère ; ère au
bèu cèu-sin dôu paradis tresen, e vesiéu, d'apereilamoundaut, un vôu de cherubi que pour-
tavon noste bèu Filougoun en triounfle. Semblaves un soulèu, moun ome! E li cherubi nous
adusien Filougoun resplendènt, e oantavon, e tresanavon, e trelusissias tôuti qu'esbrihau-
davias!... E tu, Bounifàci?
   — Ah! bèn, iéu, digue Bounifàci, quand ai vist en sounge que Filougoun èro i pèd de
Dieu, e que Sauvian ié mountavo sus lis alo di o'ùerubi : — Se garçon bèn de moun lapin,
me siéu di !
   E, ma fisto ! ai manja lou couniéu.
                                                             J. RoUMANILLK.