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160 LA R E V U E LYONNAISE Elle dort, la ville, —• la bourgade, — dans l'ombre. Toutes les demi-heures, la vieille horloge sonne. Et tout le temps le croas- sement somnolent des grenouilles, mêlé au murmure monotone du torrent, traîne, monte, meurt seuls bruits vivants encore dans le grand silence. J e u d i , 16 mai. C'est à peine si j'ai eu le temps de voir au grand jour ce pays inconnu où le hasard m'amène et où je ferai long séjour peut-être, en attendant le poste plus civilisé qu'on m'a promis au Ministère. Le Palais de Justice est haut perché, au flanc de la montagne, dominant la ville. On y monte, en plein soleil, par un escalier monumental: il a un fronton dorique et sept grosses colonnes, comme La Madeleine, et il se dresse dans le ciel très bleu, avec des airs'de Parthenon ou d'Acropole; Thémis y règne encore, et ce ciel n'est-il pas celui de la Grèce ? — L'architecture intérieure est atroce. Il a un aspect bien fantastique ce pays. Tout autour de cette vallée étroite, tordue comme un reptile et fermée comme une im- passe, les montagnes sont hautes, abruptes, sauvages, avec de petits hameaux de loin en loin perchés dans les bois. Et derrière ces premières cimes fuyantes, plus haut qu'elles, quelque chose de bleuâtre monte en plein ciel comme un mur gigan- tesque: ce sont les mornes sombres du Tanargues, calcinés, déchirés, comme des souvenirs pétrifiés du Chaos. Dans l'air léger, ils se dressent menaçants, dessinant d'étranges attitudes, ainsi que s'ils eussent été immobilisés dans une tourmente. Toutes les villes sont loin, par delà les montagnes. Aucun railway n'a encore atteint ces contrées primitives. On y vient en diligence comme aux âges lointains. Que ferai-je bien dans ce pays si j'y passe une année ? Dimanche, 20mai. Bientôt une semaine que je suis ici. Peu à peu l'œil se fait à cet horizon borné : on s'accoutume à ces bois de châtaigniers, à ces paysages mélancoliques, à la physionomie barbare de ces masses de pierre. Les nuits de lune, les vallées ont des profondeurs étranges