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    SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE SA|INT-PRIEST 135
   Ou pourrait s'étonner, que mon grand-oncle, noble et évêque,
eût échappé à la prison. Gela pouvait en effet être regardé comme
un phénomène, dans ce temps-là. Un jour, pourtant, il avait été
mis en état d'arrestation et conduit à sa section, entre quatre fusi-
liers. Mais, dans la journée même, il fut mis en liberté. Son grand
âge eût, en effet, suffi pour cela dans un temps ordinaire; mais il
y avait tous les jours, à cet égard, des exemples peu rassurants. Il
eut, sans doute, quelque protecteur obscur qui témoigna que son
caractère inoffensif, et dans le fait assez nul, ne pouvait donner
d'ombrage, et heureusement cela réussit.
    L'évêque avait une belle-sœur, veuve d'un de ses frères, par
conséquent ma grand'tante, la marquise de Montferrat. Elle logeait
aussi rue du Bac et tout près. On m'y conduisit plusieurs fois.
Elle était de l'ancienne famille de Ghaumont-Quitry, et avait été
 élevée, comme elle se plaisait à le dire, par son Altesse Royale
Madame d'Orléans, abbesse de Ghelles, fille du Régent. En dépit
de la Révolution, elle faisait sonner ses titres très haut ; bien
entendu quand nous étions seuls. Elle avait conservé le ton et la
manière d'une très grande dame. Son fils, le comte de Barrai-
  Montferrat, dont j'ai déjà parlé, lui faisait une pension, à ce que
•'e crois assez mince, mais avec laquelle elle vivait supportablement.
Elle avait aussi échappé à l'arrestation.
    Cette dame était veuve d'un des frères de ma grand'mère,
 M. de Barrai-Montferrat, très riche et possesseur des magnifiques
 forges d'Àllevard en Dauphiné. Mais il était en même temps avare
 et glorieux, comme l'Harpagon de Molière qui semble l'avoir de-
 viné. Il y avait de quoi faire un bon recueil d'anecdotes de ses
 histoires que ses contemporains ont bien connues et dont je me
 plairais à mentionner quelqu'une, si je ne parlais d'une époque
 où, en présence des atrocités de l'espèce humaine, on n'a pas le
 courage déparier de ces bizarreries.
    Me voilà donc installé à Passy, dans la pension du citoyen Gan-
 don, car on ne parlait pas autrement alors. La règle y était assez
 sévère, et j'eus d'abord quelque peine à m'y faire, ayant pris, de-
 puis deux ou trois ans, une douce habitude d'indépendance et
 d'oisiveté, dans mes diverses pérégrinations. Cependant, je me
 mis bientôt au pli.