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136                  LA REVUE LYONNAISE
   Le maître de cette pension avait un caractère assez étrange, et
composé de contrastes qui provenaient, je crois, de la lutte entre
ses sentiments naturels et ceux que la force des choses l'obligeait
à manifester.
   C'était un Breton, natif de Vitré. Il avait la franchise assez rude
et même un peu brutale de son pays ; il en avait aussi le sen-
timent religieux. Toutefois la religion était forcée d'entrer en
composition avec les circonstances du moment, et il faut croire
qu'elles étaient terribles ; ainsi, tandis qu'il faisait apprendre à
ses élèves la Déclaration des Droits de l'homme, et les menait
chaque décadi, au Temple de la Raison, il engageait ceux d'entre
nous, qu'il jugeait élevés'dans d'autres sentiments, à se souvenir
du dimanche; et comme il n'y avait pas de messe où on pût aller,
d'en lire les prières pendant les heures de récréation, dans des
livres faits à cette intention, et où ces prières se trouvaient mêlées
à des leçons, tant d'histoire que d'autres matières profanes, pour
donner le change aux curieux indiscrets ou mal pensants.
   11 faut dire ce que c'était que ce Temple de la Raison où Ton
nous menait, et ce que nous y voyions et faisions Ce n'était autre
chose que l'église du lieu récemment souillée et dévastée, et où
l'on voyait sur l'autel, à la place du. tabernacle brisé, les bustes
de Marat et autres scélérats qu'on proclamait les Martyrs delà
Liberté. La chaire était restée debout et servait de tribune où tel
ou tel des Sans-Culottes de la commune, ceint d'une écharpe tri-
colore et coiffé d'un bonnet rouge, se pavanait et prêchait les
matières les plus incendiaires. Toutes les autorités locales devaient
assister à ces édiBants sermons, ainsi que ceux qui voulaient faire
montre de patriotisme. Les maîtres de pensions des deux sexes
étaient tenus d'y conduire exactement leurs élèves, et ceux-ci
devaient savoir leur Déclaration des Droits de l'homme par cœur
et sans faute, pour le cas où un de ces coquins se fût avisé de vou-
loir mettre à l'épreuve le patriotisme du maître ou de la maîtresse
de pension, en interpellant un des élèves et lui faisant réciter la
susdite déclaration. Le cas n'arriva pas, cependant, au mien,
que je sache.
   L'établissement d'éducation du citoyen Gandon était assez bien
composé cependant. Les enfants de familles royalistes y étaient en