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62 LA REVUE LYONNAITE ce monde. Quand on pense qu'on fait aller une pauvre vieille comme moi devant les juges pour un oui ou pour un non. Ah! sacré mâ- tin de père Barbenbois ! » Qu'on me permette, à moi que la destinée a chargé d'écrire pour la postérité la plus reculée cette véridique histoire, d'ouvrir ici une courte parenthèse. Je proteste que mon plus cher désir serait de ne me servir dans ce récit que d'expressions scrupuleusement choisies, et de n'employer que des tournures de phrases absolument académiques. Mais d'autre part la conscience me fait un devoir impérieux de nejamais me départir de la stricte observance de la vérité, regardant ce respect que j'ai pour elle comme la première qualité de l'historien. Je suis donc bien fâché que la mère Béchu ait dit... ce que vous avez lu plus haut, Madame, et vous, lecteur bénévole ; mais vous en conviendrez, puisqu'elle a pro- noncé ces paroles que je voudrais bien pouvoir effacer, je suis obligé de les répéter après elle. Ceci dit pour mon apologie, je re- viens à nos moutons. — Tiens, c'est encore pour cette malheureuse prise d'eau du pré de la Bergère que vous plaidez. Il n'y a donc pas moyen de s'entendre. ., —Gomme vous le dites, mère Gorneloup. Sans compter que ce Barbenbois est un chicaneur de la pire espèce. Voilà au moins dix fois que nous allons devant le juge de paix, ajouta -t-elle avec un soupir, et c'est demain que nous y retournons. A propos, le con- naissez-vous, le nouveau juge de paix ? — Pour dire que je le connais, non, je ne puis pas dire que je le connais : mais cependant j'ai entendu parler de lui. Vous auriez bien dû prendre vos renseignements plus tôt, voisine. Vous pouvez être sûre que Barbenbois, qui est un fûté, y est déjà allé, lui, aux informations. Je parie qu'il sait par quel bout il faut le' preii- ; Et dre si, comme on dit, c'est uil de ces juges de paix à qui il suffit de bien graisser la patte pour leur faire dire ce que l'on veut, tenez pour certain qu'il la lui a déjà graissée. Mais voilà qu'il se fait tard, dit-'elle en se levant ; mes hommes vont rentrer des champs. Il ne faut pas que je me mette en retard. Gorneloup est toujours affamé comme un ogre quand il revient, surtout pendanf ces grands jours d'été; s'il ne trouvait pas la soupe prête, c'est un bon