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                     CHEZ LE JUGE DE P A I X                       63
  homme, Gorneloup, mais il n'y ferait pas bon tout de même. Au
  revoir donc, mère Béchu, et bonne chance !
     — Au revoir, mère Gorneloup ! »
     Quelle idée nouvelle a traversé le cerveau de la vieille? Elle
  relève la tête, et sa taille courbée se redresse, son œil est bril-
  lant, on dirait presque qu'un vague sourire a reparu sur sa lèvre.
  Gomme nous ne sommes pas dans son secret, attendons : l'avenir
  nous le révélera peut-être.
     Le lendemain, jour de bataille, la mère Béchu se leva de bonne
  heure. Elle avait une grande lieue à faire pour arriver au bourg
 .où siégeait le magistrat cantonal. Elle trottait menu, la petite
   vieille, son panier au bras, un bonnet bien blanc sur sa tête. Et
  tout, le long, du chemin, entre les haies où les grosses mûres
  piquaient-de noir la verdure sombre des ronces, elle se parlait à
  elle-même, ruminant ce qu'elle allait dire, et songeant aux moyens
  devenir à bout de ce « mâtin » de Barbenbois, Parfois un gros
  merle s'envolait brusquement, avec un grand bruit d'ailes, frôlait
  le buisson où il se cachait de nouveau quelques pas plus loin ; un
  lézard traversait le chemin, jetant, comme la Galatée du poète, un
  regard à la vieille, avant que son sillon d'émeraude disparût
; dans les broussailles. Mais elle faisait bien attention à cela, la
  mère Béchu! Toute à ses préoccupations, elle avait déjà plaidé
  vingt fois son procès quand elle déboucha sur la grande place du
  village. 11 lui fallait attendre au moins une heure : je dis : au
•moins> car le représentant de la justice n'était guère exact, et
.pour peu que monsieur le juge de paix n'eût point terminé sa
  partie de billard au prochain cabaret, il lui challait peu que les
  malheureux justiciables se morfondissent en le maudissant. Un
  curieux type au reste, ce monsieur Beaucerf! Ancien cantinier
  d'un régiment de ligne, passé juge de paix, grâce à l'influence
: des beaux yeux de feu sa femme sur le coeur inflammable d'un
  vieux général, il avait conservé de son ancien métier un goût
  prononcé pour la boisson. Ce goût se traduisait par l'absorption
  d'un nombre considérable de petits verres, sans parler des grands.
  Avec cela ignorant comme un brochet, têtu comme une mule, et
 fortement soupçonné de vénalité, à ce que rapportait la commune
  opinion,