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      CHEZ LE JUGE DE PAIX


    Sur le seuil branlant de sa maisonnette, la mère Béchu est as-
 sise, sous l'ombre que fait un gros pommier chargé de fruits : par
 la porte entr'ouverte, elle surveille le feu de genêts qui flambe
 dans l'âtre et la marmite où mijote son frugal repas du soir. Sur
le toit, où la mousse a recouvert les tuiles d'une robe verdâtre,
 sautillent quelques moineaux piaillards ; tandis qu'entre deux pou-
 tres toute une famille de petits culs-blancs montrent leurs têtes
 hors du nid, trop faibles encore pour prendre leur volée, et atten-
 dant le retour de la pourvoyeuse. La mère Béchu reprise une
jupe et tire l'aiguille, marmonnant je ne sais quoi entre ses dents.
Parfois elle s'arrête, relève la tête, et l'œil perdu dans le vide, elle
semble abîmée dans un océan d'insondables réflexions : l'aiguille
cesse de courir, et l'ouvrage inachevé retombe sur ses genoux.
    Tout, cependant, est en fête autour d'elle : le vent qui passe,
si léger qu'il fait à peine osciller les extrémités des branches au-
dessus de la tête de la vieille, est chargé des senteurs vivifiantes de
la montagne, et tout en caressant les boucles tremblottantes de
la mère Béchu, il murmure doucement à son oreille :
    « Quel gros souci vous tourmente, mère Béchu ? La moisson de
votre petit champ s'est faite heureusement ; les gerbes sont là ar-
tistement rangées en meule, a l'abri delà pluie et de la grêle. Vous
aurez cet hiver de bon pain blanc dans la huche. Pourquoi vous
inquiéter ? Laissez-moi emporter vos peines sur mes ailes ».
   Et la vieille soupire profondément.