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24                   LA REVUE LYONNAISE
confiance, ou plutôt, elle mit d'accord en lui ces deux sentiments,
par la simplicité affectueuse de son accueil et de sa conversation.
Ils eurent à s'entretenir de beaucoup de choses passées et pré-
sentes ; cet entretien et ceux qui le suivirent satisfirent tellement
l'impératrice, qu'elle dit, après que mon père se fut retiré : « On
passerait sa vie avec de tels ministres. »
    Plusieurs fois, dans la suite, j'ai demandé à mon père si la con-
versation de Catherine était brillante par le trait, ou des aperçus
profonds et dénotant une instruction hors ligne.
    Il m'a toujours dit qu'elle l'avait surtout frappé par le tact et
le bon sens, ainsi que par la justesse et la sobriété des paroles ;
sans rien précisément qui surprit, mais que, dans tout ce qu'elle
disait, il était aisé de reconnaître la connaissance des hommes, et
le talent de les apprécier et de les rendre utiles. Enfin qu'on sentait,
en l'écoutant, qu'elle savait gouverner. Quelqu'abandon, au reste,
qu'elle semblât montrer dans la conversation, on pouvait s'aper-
cevoir qu'elle était sur ses gardes et ne se laissait pas surprendre
 sur ce qui ne lui convenait pas dans le moment. Il en fit l'épreuve
lui-môme, à un air de réserve un peu froide et assez iière, qu'elle
prit tout à coup, un jour qu'il avait laissé tomber quelques mots
sur la constitution du 3 mai 1790, que venaient de se donner les
Polonais, dont le public s'occupait fort alors, mais qui pouvait
 n'être pas dans les vues de l'impératrice, comme elle ne tarda pas
 à le manifester peu après.
    Cette princesse, bien qu'âgée alors de soixante-deux ans, avait
 encore des restes de beauté, et surtout un très grand air, quand
 elle se montrait au public les jours de cérémonie. Elle était petite
 de taille; mais, dans ces occasions, elle se grandissait sans aucune
 affectation, ni pose théâtrale; ses beaux cheveux blancs, dénoués
 et flottants, lui formaient une parure imposante. Son regard alors
 était majestueux, mais tempéré par la mansuétude.
    Elle montra ses petits-fils à mon père qui fut frappé de la beauté
 de l'aîné, Alexandre, depuis empereur. Il tenait, dès lors, la tête
 un peu penchée de côté, par suite d'une légère surdité précoce,
 survenue après un refroidissement et qui n'était pas sans grâce.
 Quoique le grand-duc Paul, père de ces jeunes gens, fut tenu loin
 de la cour, et comme confiné dans un château hors de Saint-Péters-