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    SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T              25

bourg, mon père ne manqua point d'aller lui rendre ses devoirs.
Il parait que tout le monde alors n'était pas aussi exact; car le
prince le remarqua et en sut gré à mon père qui eut occasion de
s'en apercevoir par la suite. C'était à l'époque où le grand-duc
était le plus délaissé, on peut dire même maltraité, si on songe
à ce qu'il était. Zouboff régnait alors, et ce fut, de tous les
favoris, celui qui se distingua le plus par son manque de procédés
envers le futur souverain ; conduite aussi inconvenante que peu
habile.
   L'Impératrice pensait et désirait acquérir mon père à son service;
bien entendu dans un poste et avec un rang analogues à la position
qu'il avait eue dans son pays. Elle lui fit faire, à ce sujet, des ouver-
tures, par le prince Repnin, je crois. Mon père refusa avec toutes les
marques d'un profond respect. Le roi de France régnait encore, et
il pouvait s'offrir telle circonstance où ses services lui eussent été
utiles. Il ne se croyait pas permis de les vouer à d'autres. Catherine
apprécia ces motifs et les approuva. Elle n'en témoigna à mon père
que plus d'estime et ne tarda pas à lui en donner des marques en
lui assignant, sur sa cassette, une pension viagère de six mille
roubles argent, accompagnée d'une lettre dont les termes étaient
pleins de générosité et de délicatesse. Cette lettre est précieusement
conservée dans la famille.
   Mon père retourna donc auprès de ma mère, à Stockolm, comblé
des faveurs et des largesses de la grande Catherine, et se retrouva
dans une cour moins magnifique assurément, mais qui se distin-
guait également par l'esprit, la politesse et la bonne grâce.
   Le roi Gustave III sn était véritablement l'âme ; car la reine,
sœur du roi de Danemark, princesse d'une beauté encore éclatante,
mais froide et dont la majestueuse personne était constamment en
cérémonie, y ajoutait peu du sien dans l'habitude de la vie, et se
contentait de représenter dans les occasions solennelles.
   Gustave III aimait les fêtes, les spectacles, auxquels il fournissait
lui-même un aliment, étant auteur de plusieurs pièces; mais,
par dessus tout, il aimait la conversation où il brillait et montrait
de la grâce, bien que parfois assaisonnée d'une légère teinte
d'étrangeté et de bizarrerie.
   Véritable enfant du dix-huitième siècle, et très sceptique sur les