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SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE SAINT-PRIEST 23 honorables à mon père et à ma mère, et les invita, de la façon la plus gracieuse, à se fixer dans ses états jusqu'à l'époque où le rétablissement de l'ordre leur permettrait de revenir en France. On sait que Gustave espérait lui-même conquérir ce résultat en se mettant à la tête des armées coalisées. Mes parents ne crurent pouvoir mieux faire, dans cette attente, qui toutefois se prolongea pendant les dix-sept ans de séjour qu'ils y firent, jusqu'à la mort de ma mère, dont les restes reposent en cette terre hospi- talière, et, pour mon père, encore quelques années au-delà . Ce séjour, amené par un pur hasard, n'eut pu, en effet, être mieux choisi. Un pays peu riche, par conséquent sans luxe; avec un bon accueil et toutes les ressources de la civilisation ; que fallait-il de plus pour des exilés ? Mon père, après avoir établi ma mère à Stockolm, arriva à Saint-Pétersbourg au mois de juillet 1791. Louis XYI régnait encore, au moins nominalement ; mais, dans la situation où était ce malheureux prince, les rapports diplomatiques devaient se borner aux strictes relations d'affaires et d'étiquette. Gela se trou- vait à l'époque toute récente de la fuite à Varennes et de tout ce qui s'en était suivi. Mon père, dans ces circonstances, se souciait peu de s'adresser au chargé d'affaires de France pour sa présen- tation à l'Impératrice, et s'y croyant assez autorisé par ses rela- tions précédentes et par sa qualité de chevalier de l'ordre de Saint-André, il se décida à écrire directement à Catherine pour solli- citer l'honneur de se présenter à elle. Cette souveraine lui sut bon gré de cette démarche, dans laquelle elle voulut bien recon- naître une marque de la confiance que mon père avait en elle, et le lui exprima dans une lettre autographe fort gracieuse, que nous possédons encore, et où elle lui assignait un jour très rapproché pour venir la trouver à Tzarskoeselo, sa résidence d'été. Quand mon père fut en présence de Catherine, il fut frappé de son air de majesté, tempéré par l'affabilité et la grâce. Lui, qui avait eu occasion de connaître les principaux souve- rains de l'Europe, pendant la dernière moitié du dix-huitième siècle, entre autres le grand Frédéric et l'illustre Marie -Thérèse, entourée de sa belle et brillante famille, il n'en avait point vu qui lui en eût autant imposé. Elle le fit bientôt passer du respect k la