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10                  LA R E V U E   LYONNAISE
de la plus mauvaise mine, ouvrirent la portière et parcoururent
l'intérieur de leurs regards avides et féroces. Ils parurent désap-
pointés et nous laissèrent poursuivre notre chemin. Nous sûmes,
plus tard, qu'ils étaient à la recherche de MM. Foulon et de
Berthier, dont nous apprîmes en même temps l'affreuse mort.
   A Versailles, mes parents habitèrent une aile du château, dans
la première cour ; pour nous enfants, on nous assigna un logement
dans le bâtiment des écuries du roi. Nous n'avions ainsi que la
place d'armes à traverser pour aller chez mon père, où nous
dînions régulièrement tous les jours. Nous avions déjà habité ce
logement avant d'aller à la campagne. Mais, dans ce court inter-
valle, il s'était opéré à Versailles un notable changement. Une
agitation permanente avait remplacé l'air de fête qui animait cette
ville, lors de l'ouverture des Etats-Généraux, dont nous avions
pu voir, de nos fenêtres, défiler la superbe procession. C'est
une des deux occasions où la figure de la malheureuse reine
 Marie-Àntoinette'est restée gravée dans ma mémoire. Elle marchait,
 ce jour-là, dans tout l'éclat de la beauté et de la parure, entourée
de toute la pompe de la royauté. Je la vis encore une fois (la seule
du moins dont je me souvienne) sous une toute autre forme et en
 toute autre circonstance. J'en ferai mention plus tard.
    Dans cette royale résidence, si favorisée et si ingrate, qui fut
 une des plus mauvaises villes au temps de la révolution, nous
 passions cependant encore assez agréablement notre temps. Nous
 avions son superbe parc à notre disposition, et nous en profitions
 largement. Dans nos promenades, nous rencontrions souvent le
 petit dauphin livré, depuis, à des malheurs qui n'ont pas de nom ;
 alors vif, sémillant, et charmant tout le monde avec ses jolis
 cheveux blonds renfermés dans un chapeau de taffetas blanc, et
 son petit habit de matelot brun, sa ceinture de soie blanche ;
 l'horreur et la pitié m'empêchent, en y pensant, de goûter le
 plaisir qu'auraient pour moi des réminiscences si attrayantes. Une
 impression, pour moi peu agréable, est celle qui m'est restée de
 la figure du pauvre roi Louis XVI, revenant au grand galop, de
 lâchasse. Sa corpulence, l'expression de sa figure et ses manières
 n'avaient rien de la dignité d'un roi.
    L'été, cependant, s'était écoulé ; et, malgré le peu de sérénité