page suivante »
SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T 11 de l'horizon, on était éloigné de prévoir les scènes désastreuses qui allaient s'ouvrir. Nous voici arrivés aux 5 et 6 octobre 1789. Les scènes de ces jours néfastes et leurs suites, sont assez connues de tout le monde et ont été retracées dans chaque histoire de la révolution dont elles furent toujours une des pages les plus fatalement mémora- bles. En ayant été en partie témoin oculaire, bien qu'âgé seulement alors de sept ans, elles sont restées gravées dans ma mémoire, et je me bornerai seulement à dire ce que j'en ai vu. Dans la matinée du 5, des menaces toujours croissantes annon- cèrent que la population de Paris se portait sur Versailles. Nous nous rendîmes, comme à l'ordinaire quoique d'un peu meilleure heure, mon frère, l'abbé et moi, au logement de mon père au châ- teau, en traversant la place d'armes libre encore. Mais bientôt nous la vîmes envahie par toute la populace arrivant de Paris, et cette place, toute vaste qu'elle est, ne tarda pas à en être remplie jusqu'aux grilles de la première enceinte qu'on ferma alors soigneusement. Dans cette masse mouvante de têtes on apercevait beaucoup de points blancs ; c'étaient des bonnets de femmes; et même, vers le milieu de la place, il s'en était formé comme un bataillon carré qui tranchait sur le reste. Un mouvement sourd grondait sans cesse, et des clameurs sauvages prenaient le dessus de temps à autre. Il y avait beaucoup d'allées et de venues dans les cours inté- rieures du château, Mon père montait fréquemment à l'apparte- ment du roi et revenait, triste et découragé, raconter à ma mère les hésitations et incertitudes de ce pauvre prince. Une partie de ce qu'il lui disait pouvait être entendu par nous delà chambre à côté où nous nous tenions, et notre abbé pérorait, le dos à la cheminée ; je me souviens qu'entre autres choses, il disait d'un ton de voix emphatique : Que dirait Louis XIV, s'il était témoin de la faiblesse de son petit-fils ! Cette faiblesse était grande, en effet ; car on ne pouvait compter, un seul instant, sur les résolutions qu'on lui arra- chait. Dès le matin, mon père avait demandé, avec instance, que l'on fît défendre le pont de Sèvres par la troupe. Au dire des experts, cette position était très défendable et, en gardant ce point, on eût arrêté toute cette foule qui se ruait sur la route de Paris Ã