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    SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T          9
   Après avoir passé quelque temps à Versailles nous nous trou-
vâmes, mon frère Emmanuel et moi, avec l'abbé notre précepteur
et notre petite sœur Pulcherie (depuis madame de Calvière), qui
était confiée aux soins de M1,e Louise sa gouvernante, jouis-
sant d'une petite maison que mon père avait aussi achetée à
Petit-Bourg.
   Mon père avait reçu le portefeuille du ministère de l'Intérieur
dans lequel était compris le département dit de la Maison du roi.
   La prise de la Bastille, qui ouvrait une scène sur laquelle la
toile n'est pas encore baissée, amena la retraite du ministère ; de
sorte que nous vîmes arriver mon père et ma mère dans cette
retraite qu'ils semblaient s'être préparée très à propos. Mais on ne
les y laissa guère. Au bout de quelques jours, mon père se trouva
rappelé à ce dangereux poste, et ce fut le maréchal prince de
Beauvau, accompagné de sa femme, qui vint le lui annoncer et,
en même temps, l'engager à l'accepter. Ce fut là que je vis, et
pour une seule fois, ce couple illustre dont le souvenir resta
longtemps dans la mémoire de leurs contemporains. La mare -
chale était une des femmes les plus distinguées de son époque
par les grâces de son esprit, la politesse et la grandeur des ma-
nières. Je les vois encore comme deux ombres imposantes.
   Mon père avait laissé ses ordres pour que sa famille le suivit
à Versailles. En chemin, nous apprîmes la mort du prévôt des
marchands, M. de Flesselles, assassiné d'un coup de pistolet sur
les marches de l'hôtel de ville. Cela nous frappa d'autant plus,
que nous l'avions vu trois jours avant, à notre campagne de la
Briquetière où il était venu voir mon père pendant son court
séjour. Je me le rappelle plus distinctemet que le maréchal et la
maréchale de Beauvau. Il est encore comme vivant devant moi,
avec son habit noir, son rabat et sa perruque à trois marteaux,
poudrée à blanc, qui devait être si tôt souillée de sang et de
boue.
   Nous avions bien une dizaine de lieues à faire pour gagner
Versailles. Ce trajet ne se fit pas sans encombre, bien que sans
mauvaise suite. Notre voiture fut arrêtée dans sa marche par une
troupe désordonnée, courant et hurlant à la suite du drapeau
tricolore, déployé alors, je crois, pour la première fois. Ces gens