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64g LA REVUE LYONNAISE II. Quelle fut la destinée de Jean de Witt? Grand pensionnaire de Hollande à l'âge de vingt-sept ans, et, par là même, ministre des états généraux, toutefois, cette charge ne lui donnant de pouvoir que celui que lui valait son intelligence et la fermeté de sou caractère; républi- cain convaincu et honnête, condamné par ses convictions et par le serment prêté, en acceptant sa charge, à défendre à l'intérieur les institutions d'une fédération d'Etats encore mal assise, mal définie, et à comprimer les tentatives incessantes d'un parti puissant, le parti de la maison d'Orange, qui cherchait à ressaisir' le pou- voir échappé de ses mains par la mort du dernier slathouder, Guillaume II; obligé de défendre, à l'extérieur, l'intégrité des colonies et du commerce des États géné- raux, contre les attaques de l'Angleterre jalouse, et leur intégrité de territoire, contre les visées ambitieuses de Louis XIV; finalement, renversé du pouvoir, et massacré, aussitôt après sa chute, par la faction orangiste qu'avaient déchaînée la majorité de Guillaume III, et les désastres de l'invasion française. Telle fut l'illustre et triste destinée de Jean de Witt. Et Jean de Witt ne fut pas au-dessous de cette destinée. Le portrait que fait de lui M. Lefévre-Pontalis, d'accord avec l'histoire impartiale, nous le montre aux prises avec les difficultés de sa tache, sans cesse renaissantes, les surmontant ou les tournant avec une rare habileté, et une loyauté encore plus rare ; puis l'heure de l'épreuve venue, toujours calme et fort, toujours égal à lui-même, grand honnête homme, devant la disgrâce, comme devant la fortune, grand honnête homme devant la mort, comme devant les hommes, il tombe, laissant désormais après lui une mémoire illustrée par la triple auréole d'une belle intelligence, d'un noble caractère et du martyre. Avec l'homme public, M. Lefévre-Pontalis nous montre aussi quel fut, dans Jean de Witt, l'homme privé. Un cœur simple, tendre, un homme de relations agréables et fidèles. C'est même, là , le point de vue, sinon, le plus important du livre de M. Lefévre-Pontalis, du moins, le plus attachant. On aime, au milieu de de ces pages sérieuses, où se discutent les destinées d'un peuple, où se déroulent les intrigues, les ambitions, les corruptions de toutes les cours d'Europe, on aime à voir apparaître la douce et modeste figure de Wendela Biker, la femme qui fut (comme il le répétait lui-même), « la chère moitié » de ce grand citoyen. Ses cinq petits enfant, qu'il allait laisser orphelins si jeunes, ses trois filles et ses deux fils, avec leurs gracieux visages, leurs caresses et leur innocence, éclairent d'un sourire les graves récits de l'historien, comme ils faisaient la vie de l'homme d'état. Son vieux père, homme à la trempe stoïque, aux convictions de romain du temps de Brutus, son frère Corneille, le fidèle associé de son œuvre patriotique, le compagnon aussi de sa chute et de sa mort, la femme de ce dernier, qu'on appelait, après les malheurs qu'elle supporta sans se plaindre, une nouvelle Débora, ses sœurs, ses parents, ses amis, tous illustres, Ruyter, Groot, Bcver- ningh, van Beuningen, le chevalier Temple, puis, la perte de sa femme, les tris- tesses et la solitude de son veuvage, tous ces détails de vie intime, apportent aux considérations, toujours un peu abstraites, de l'histoire générale, un air de réalité» de vérité, un accent d'émotion qui pénètrent le lecteur, et le charment. Pour lui être associée, dans l'ouvrage de M. Lefévre-Pontalis, la biographie n'empiète pas sur les droits de la grande histoire. Elle ajoute, si vous voulez une oasis, un charmant et discret paysage, mais elle est bien toujours là , la grande histoire, avec ses larges horizons de peuples et d'événements généraux. Jean de Witt est si bien un ouvrage d'histoire que désormais, pour connaître exacte^