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574                  LA REVUE       LYONNAISE

constants de la nature, ils acquièrent l'instinct et la perspicacité
des animaux, la finesse du renard, la vigueur de l'ours. Exposés à
toutes sortes d'accidents, ils finissent par s'endurcir au sentiment
du péril, et sont, pour la plupart, cruels, implacables dans leurs
vengeances, joueurs et débauchés. Mais ils ont les qualités essen-
tielles des animaux : ils se servent adroitement de leurs armes, et
il n'existe pas, dans les solitudes de l'Ouest, un ravin qui n'ait été
visité par ces êtres intrépides. Depuis le Mississipi jusqu'au Rio-
Colorado, depuis les glaces du Nord jusqu'aux tièdes plaines du
Nouveau Mexique, ils connaissent chaque tertre, ils se sont em-
busqués au bord de chaque rivière, et ce sont eux qui ont donné un
nom aux fleuves et aux montagnes. »
   Par bonheur, les hommes choisis par M. Frémont, n'avaient point
ce rude et féroce caractère. 11 n'a eu qu'à se louer de leur patience
et de leur fermeté pour accomplir une entreprise comme celle qui
lui était confiée.
   Entre les deux océans au milieu desquels s'élève le continent
américain, dans la direction prescrite au jeune ingénieur, s'étend
une sorte d'océan terrestre, morne, silencieux, aride, inhabité. Sur
un espace de plusieurs centaines de lieues, pas un chemin frayé,
pas une ville, pas un village, pas un asile secourable en un besoin
mortel ; des rivières que l'on cherche avec avidité dans les temps
 de sécheresse, et que l'on franchit au péril de sa vie quand elles sont
gonflées par les pluies, des prairies couvertes de hautes herbes où
la moindre étincelle suffit pour produire un embrasement qui se
développe avec la rapidité de l'éclair, et des plaines de sable où l'on
ne trouve plus que quelques plantes éparses. C'est la mer, sans
rade et sans port; c'est le désert sans oasis et sans caravansérail,
et le désert envahi parfois tout à coup par des hordes d'Indiens fé-
roces qui se précipitent à la poursuite d'un troupeau de buffles
et épient le passage d'une caravane pour la dévaliser et la mas-
sacrer.
   Le jour, on chemine pas à pas, lentement, sur ces mornes ter-
rains. Le soir, on attache les chevaux et les mulets à des piquets ; on
se barricade avec des chariots, et l'on place au bord de ce camp
retranché les sentinelles qui doivent se tenir en garde toute la nuit
contre les brusques irruptions des Indiens.