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526                        LA R E V U E L Y O N N A I S E

nous voir engagés dans une lutte périlleuse et interminable avec les vaillants
montagnards d'Abyssinic, tandis qu'elle -même, maîtresse paisible du grand
chemin du Nil, commercerait librement avec l'Egypte et avec le Soudan qu'elle
est en train de perdre misérablement. Mais c'est une satisfaction dont il lui faudra
savoir se passer.
   Le marché qu'elle nous propose est tout à notre avantage, on le voit : le singe
ne parle pas mieux au chat, dans la fable de La Fontaine. Mais heureusement
l'expérience a dessillé nos yeux.La chimère de l'alliance anglaise s'est évanouie :
ce n'est pas nous qui pâtirons du nouvel état de choses.



   CHÉRIE, par EDMOND DE CONCOURT. — Paris. Charpentier, 1884. — Un vol.
      in-18 Jésus. Prix : 3 fr. 50.

   Une des choses qui ont porté le plus grave préjudice à l'École naturaliste, c'est
sans contredit la malpropreté des tableaux que ses adeptes se sont complu à
dépeindre Beaucoup de gens ne connaissent les livres de la secte que par le bruit
qui s'est fait autour de telle ou telle situation, de telle ou telle page du volume.
C'est à l'amour du scandale, passion vivante à toute époque, que la plupart de ces
 ouvrages ont dû leur étonnant succès de librairie. On n'a cherché ni les grâces
aimables qui voilent l'obcénité chez certains auteurs galants du siècle dernier,
ni la tournure piquante qui peut séduire le curieux feuilletant, par exemple, les
Ragionamenti.      Le public n'en demandait vraiment point tant.
   Ou ne peut douter que notre réputation nationale n'ait souffert, à l'étranger,
do la multiplicité de ces productions qui, si elles s'éditent souvent à Bruxelles, se
vendent surtout à Paris. Un Russe ou un Américain doit se faire une étrange idée
de la bourgeoisie française, s'il l'étudié dans Pot-Bouille, et des ouvriers que
lui dépeint M. Zola dans       VAssommoir.
   L'oeuvre des frères de Goncourt, et je comprends dans cette appréciation même
la Fille Elisa, échappe à ces reproches. Leur travail n'a point eu pour but la
poursuite de cette réputation malsaine que d'autres ambitionnent si fort. Adeptes
d'une théorie dans laquelle, comme dans toutes les doctrines humaines, il y a du
bon et du mauvais, ils n'ont jamais versé dans l'ornière banale de la pornogra-
phie. Ils ont été de vaillants travailleurs, de nobles amis de l'art, et, tout en faisant
mes réserves sur la conception trop vaste que se faisait de la portée de leur
œuvre commune Jules de Goncourt, j'estime que la postérité leur assignera une
place honorable dans la galerie du xix° siècle.
   Je ne crois pas qu'il y ait de principes éternels, immuables du beau dans les
arts. L'art est chose variable, qui s'accommode aux temps, aux lieux, aux cir-
constances. Ce qui est beau est toujours beau ; mais pour produire ce beau, il
n'y a, à proprement parler, pas de règles. Donc que chacun suive sa voie : si
l'Å“uvre est digne de l'admiration des hommes, les conjurations de la haine pas
plus que celles du silence ne parviendront à l'étouffer.
   Je dis cela à propos des ouvrages précédents de MM. de Goncourt, et aussi de
Chérie, le roman nouveau du survivant des deux frères. II y a énormément
d'observation, de travail dans cette étude d'une jeune fille névrosée, appartenant
au monde élégant du second empire. Ce sont des pages qui sentent l'huile, si je
puis me servir de l'expression employée pour caractériser les discours d'un grand