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520 LA R E V U E LYONNAISE frappe notre voisin sous nos yeux : ah ! quelle émotion étreint notre âme ! Il atteint une ville ou un peuple à cent lieues et nous laisse indifférents. Pourquoi ? Parce que la compassion — c'est ici son véritable nom — est mal soutenue par l'imagination; par suite, plus nos relations s'étendront, plus s'élargira le cercle de nos regards, et plus notre sensibilité croîtra, s'affinera, plus elle sera vive, active, généreuse, pénétrante. Ne serait-ce point là une des conquêtes imprévues de la civilisation ? Qui attendait ce résultat du développement de la presse et des chemins de fer? Peut-être y a-t-il là aussi une illusion d'optique qu'il ne faut point prendre trop au sérieux, et nous croyons, avec M. Bouillier, que nos pères, moins bien partagés que nous au point de vue des communications matérielles, n'étaient ni moins compatissants, ni moins généreux. Mais théoriquement parlant, le lien qui unit en ce cas la cause à l'effet n'est pas discutable. Y a-t-il une responsabilité morale dans le rêve ? Non, répondrons-nous tout d'abord ; nous no sommes nullement maîtres de nos songes. Pas tant que cela, remarque finement M. Fr. Bouillier, car il existe un rapport entre le rêve et la veille, et les songes marquent l'inclination dominante. Soyez sûrs que l'avare rêvera fréquemment d'argent et le gourmand d'un bon dîner. Nous ne dirigeons pas nos rêves, mais nous pouvons souvent les faire naître; ils participent de l'état habituel de l'esprit, ils sont un miroir de la disposition de l'âme. 11 ne faut donc pas dire : trompeur comme un songe ; si nous n'avons pas à en rougir, nous pouvons rougir des préoccupations qui les ont pi'ovoqués. Gomment douter enfin qu'il y ait des compensations dans la vie humaine? Le plaisir ne sort-il pas de la douleur elle-même? Ceci n'est pas un lieu commun, mais une affaire d'expérience. La théorie d'Azaïs est sans doute exagérée ; mais, sans pousser l'optimisme aussi loin que lui, l'inégalité des lots de l'homme n'est pas si grande que pourrait le croire un. observateur superficiel. M. Bouillier n'entreprend pas de la justifier, il ne se livre pas à une évaluation mathématique des biens et des maux de la vie, parce qu'il la sent impossible ; mais il remarque que les uns comme les autres ont relativement leur tour, et la philosophie a sur ce terrain l'assentiment de l'expérience populaire. En voilà assez pour inspirer le désir de lire les études de M. Bouillier à ceux qui ne les connaissent pas encore et pour pronostiquer à leur auteur un succès de boa aloi. N'est-ce rien que des réflexions sensées et utiles sous une forme agréable? HENRI BEAUNB. NERTO, nouvelle en vers provençaux, avec traduction française, par F R - DÉiuc MISTRAL. Un beau vol. petit in-8. Librairie Hacbette. 1. La chose se passe entre Arles et Avignon, vers 1404. Haut et puissant seigneur Pons de Château-Renard a tout perdu au jeu, tout! Désespéré, il a vendu Nerte, sa fille, à Satan. Après treize ans, prèsde mourir, le pauvre père avertit Nerte, qui éclate en sanglots. Paire, cridè l'enfant, ai pou ! Vendre sa fiho, se se pou?.. Mais ce qui est fait est fait, la bonne, la gente Nerte écherra au diable sous peu de jours.