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434                       LA R E V U E     LYONNAISE

divisaient la vallée en bassins dans lesquels l'eau s'étalait à de grandes distances
et fécondait les terres où s'élevaient ces villes splendides dont on ne voit aujour-
d'hui que les ruines. C'est que le Nil a peu à peu usé les seuils qui l'arrêtaient;
son lit s'est creusé, le niveau a baissé et le sol qu'il arrosait jadis est maintenant
un désert aride.
   L'idée d'aménager les eaux du Nil et de régulariser ses crues a depuis long-
temps préoccupé les esprits sérieux. Sir Samuel Baker a proposé d'élever des
digues aux principales cataractes et de rétablir ainsi les anciens bassins, ce qui
permettrait de disposer en tout temps de la quantité d'eau nécessaire aux diverses
cultures. En complétant ces travaux par des canaux et écluses, on créerait une
magnifique voie navigable pour pénétrer jusqu'au centre du grand continent.
   Ce projet n'est pas irréalisable. Sur l'initiative d'un Français, M. le docteur de
la Motte, une société sérieuse a été créée, pour le mettre à exécution, au moins en
partie. Mais il faudrait de la tranquillité, de bonnes finances et un gouvernement
régulier. Tout cela manque aujourd'hui à l'Egypte, qui est menacée d'un immense
danger par la perte du Soudan. Sir Samuel Baker a le premier signalé ce danger,
dont on ne paraît pas se préoccuper cependant. Si l'on établissait, dit-il, un bar-
rage sur le Nil blanc en amont de Khartoum, en arrêterait ses eaux pendant
quelques jours et sa conjonction avec le Nil bleu ne se faisant plus à temps,
l'Egypte n'aurait plus une quantité d'eau suffisante. Il en serait de même si les
habitants riverains employaient largement les eaux pour irriguer leurs terres.
La haute vallée serait transformée en jardin; mais que deviendrait l'Egypte?
   Méhémet-Ali et ses successeurs, en s'emparant du Soudan, avaient en vue
d'éviter ce danger, car ils savaient que les sources du Nil peuvent être troublées
de mille façons et que si ces bassins supérieurs ne sont pas gouvernés par elle
ils peuvent être tournés contre elle.
   Malheureusement l'Egypte a perdu le Soudan; elle n'a plus d'armée pour le
leconquérir et l'Angleterre est impuissante à le lui rendre. Le colonel Debize
expose la situation produite par les derniers événements et termine, en disant que
la France ne peut y rester indifférente, car elle a en Egypte désintérêts majeurs
à sauvegarder. Elle doit aussi veiller à la route des Indes, car elle est à la veille
d'y avoir un empire colonial important. C'est donc avec satisfaction qu'on apprend
que Obock va enfin sortir de l'oubli dans lequel il est plongé depuis longtemps.
C'est un pied que nous posonssur cette partie du continent et qui nous mettra à
même de développer notre commerce et d'asseoir notre influence sur le royaume
voisin d'Abyssinie qui est peut-être appelé à jouer un grand rôle dans l'avenir.
   M. Desgrand, le président, donne ensuite quelques détails sur l'importance
des sociétés et des idées religieuses dans l'Afrique mahométane, Il parle de l'ordre
de Sidi Abdel-Kader-el-Yhelani, auquel appartient le Madhi du Soudan et de la
secte des Se)îOits^î>,dontle foyer est danslaCyrénaïque et qui étend son influence
sur l'Algérie. Si ces sectes, aujourd'hui rivales, s'entendaient, nos possessions
africaines seraient en danger. L'orateur conclut que la France doit éviter de
mécontenter les Arabes et exploiter, au contraire, la rivalité qui existe entre les
Soudaniens et les Sénoussis. Il ajoute qu'il eût été peut-être imprudent d'appeler
les Turcs au Soudan, car ces diverses factions musulmanes, une fois en présence,
auraient pu reconstituer le panislamisme      et se concerter pour combattre l'en-
nemi commun, le Chrétien.