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UN S C U L P T E U R F É L I B R E 335 produite en lettres d'or sur la plaque de marbre noir qui se trouve au-dessous de la statue : « Loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ... je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est ques- tion. » On a dit que c'était la première fois que la collaboration faisait ses preuves à un concours de sculpture, que jamais encore on n'avait eu l'idée de se mettre à deux pour exécuter une statue. On oubliait que le Laocoon a été exécuté par trois sculpteurs, de Rhodes, que le Napoléon, en costume impérial, de la colonne Vendôme, est l'œuvre de Duret et Dumont. Nous pourrions citer une foule d'autres cas analogues, fort judicieusement expliqués, du reste, par M. Boisseau. « Nous sommes, disait-il, tour à tour statuaire et public; quand l'un a travaillé, l'autre juge et s'il est vrai de dire que deux avis valent mieux qu'un, nous devons être tous les deux dans le vrai. » Qui ne connaît pas aujourd'hui l'œuvre des deux sculpteurs, si vivante et d'un accent si moderne ? Finement moqueur, souple et hardi, Figaro est représenté de- bout, sa guitare au dos, son manteau flottant sur l'épaule, une jambe en avant (en homme qui ne tient pas en place), le pied sur le masque qu'il vient d'arracher à quelque hypocrite, la tête tournée à gauche et taillant sa plume avec son rasoir. Idée fort ingénieuse ! Figaro n'attend pas qu'on lui apporte un canif pour affiler sa plume. « Nous avions d'abord tourné la tête à droite, disait Amy, mais nous avons pensé que les boulevards, la foule, Paris enfin, étaient à gauche et nous nous sommes empressés de le faire regarder de ce côté-là . » Cette statue, vulgarisée par les élégantes réductions de la mai- son Thiêbaut et devenue populaire, a toute l'originalité d'une création, en restant toutefois le portrait idéal et définitif du barbier de Séville. C'est, en sculpture, l'équivalent du Figaro, traduit en musique par Rossini. Avant l'Arlequin de Saint-Mar- ceaux, le bronze s'est assoupli et a rendu, avec un naturel parfait, le fin sourire de l'ironie, la raillerie piquante et légère. On re- trouve dans ce Figaro l'étincelle de l'esprit français, l'humeur vive du Midi, la verve même de Beaumarchais. Ne voit-on pas là l'homme sûr de mettre toujours les rieurs de son côté, et, de fait,