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322 LA R E V U E LYONNAISE nique à la Société un manuscrit qu'il a retrouvé, contenant la relation d'un voyage fait, en 1534, de Malines à Barcelone, en traversant la France. L'auteur de ce voyage Jean Second, de son vrai nom Everaert, était un poète latin moderne, dontles poésies imitées de Catulle, ont eu un grand succès. Publiées pour la p r e - mière fois à Utrechten 1541, elles ont été reimprimées un grand nombre de fois. Mirabeau, en 1796, Tissot, en 1800, en ont donné des traductions françaises. Reçu docteur en droit à Bourges, en 1533, il accepta la place de secrétaire de l'archevêque de Tolède et, suivant l'usage des savants de cette époque, il ne manqua pas d'écrire jour par jour le récit de son voyage et ses impressions, pendant ce long trajet de Malines à Barcelone. Les communications n'étaient pas faciles à cette époque comme aujourd'hui ; les routes, bien que sûres, n'étaient pas toujours carrossables. C'est donc à cheval que Jean Second accomplit son voyage avec sa suite, s'arrêtant chaque soir dans une hôtellerie et faisant parfois un séjour pour laisser reposer les montures. On devait s'attendre, de la part d'un poète, a des descriptions enthousiastes des beautés de la nature et des monuments des villes qu'il traverse. Il n'en est rien. Dénué du talent d'observation, il se montre surtout préoccupé de son bien-être matériel, comme un bourgeois voyageant pour ses affaires. Il note avec soin les hôtelleries où il a été bien nourri et rappelle souvent, avec l'attendrissement d'un estomac reconnaissant, un excellent dîner que lui offrirent certains chanoines, qui le traitèrent non religiose. La beauté des paysages ne l'émeut pas ; habitant d'un pays plat, les moindres collines sont pour lui des montagnes. Il ne daigne pas dire s'il a visité sur son passage les cathédrales et les églises. Ce qui le frappe le plus à Lyon, c'est la hauteur de la grande montagne de Fourvière. Il traverse la Saône on bateau pour assister à une fête offerte par François l01' qui était à ce moment au palais de Roanne. En traversant la Bourgogne, il se rappelle que celte province était autrefois possédée par ses souverains et il verse une larme, à Dijon, devant les tombeaux des ducs de Bourgogne, dont les cendres imposent au milieu d'un peuple étranger. Pour lui la Bourgogne n'est pas française; aussi dit-il, en arrivant à Mâcon, aujourd'hui nous rentrons en France. Aucun incident remarquable n'a signalé ce voyage de Jean Second ; le récit n'en est pas moins intéressant, surtout par le charme des observations que M. Didelot a su ajouter à sa traduction. Le voyageur y a employé trente-sept jours; mais il a traversé la France; il a pu voir et étudier la Champagne, la Bourgogne, le Lyonnais, etc., et recueillir des impressions et des souvenirs qu'il a transmis à sa famille et à la postérité. Aujourd'hui, dans le siècle des chemins de fer, on fera ce même trajet en 50 heures; mais sans rien voir sur la route. On part pour arriver. L'avantage est certes, pour notre époque, au point de vue des affaires, et cependant, dans les moments de rêverie, on aime à se reporter au temps passé et à accomplir, au moins en pensée, un voyage à petites journées, comme celui de Jean Second.