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              LA C O R R E S P O N D A N C E D E V O L T A I R E            237

intrigues, quels honteux manèges, quelle longue suite de faux-
fuyants, d'équivoques, de déguisements et d'inexcusables trompe-
ries ! Le philosophe est sorti de son cadre; il a des grâces de plus,
mais le rayon est de moins. C'est pour lui aussi qu'il a été dit: on
n'imagine pas combien il faut d'esprit pour n'être jamais ridicule.
   La correspondance de Voltaire est donc un miroir étincelant,
mais fidèle, qui nous rend toute sa physionomie si changeante, je
dirais presque insaisissable ; elle étale à nos yeux ses misères les
plus cachées et ne nous permet pas de suivre à son égard le con-
seil que Joubert nous donne pour demeurer les amis de nos amis :
quand ils sont borgnes, regardez-les de profil. Voltaire y est vu de
face, et, si l'on admire la verve de l'écrivain, on y prend une
triste idée du caractère de l'homme.
   La nouvelle édition que M. Louis Moland, un érudit littéraire
fort distingué, vient de publier à la librairie Garnier frères, de
Paris, nous en fournit aisément la preuve. Dans celte édition
considérable, qui s'est enrichie, sauf quelques rares exceptions1,
de toutes les lettres découvertes depuis Beuchot jusqu'à ces derniers
jours, par MM. de Cayrol, Bavoux, François, Th. Foisset, Léouzon
Leduc, de Mandat-Grancey, Varnhagen, Dr Walther, de Lescure,
Coquerel, Hennin, Ch. Nisard, Advielle, Henri Beaune, etc., je
choisis deux épisodes curieux, qui ont déjà exercé la patience de
M. Gustave Desnoiresterres, le savant biographe de Voltaire, mais
qui jettent un jour singulier sur les infirmités du caractère de
celui-ci. Le premier est relatif à la fameuse aventure de Francfort,
qui suivit la rupture du poète avec le roi de Prusse Frédéric II ;
le second concerne le procès des fagots de Tourney.
   On sait qu'une discussion philosophique s'étant engagée entre
Maupertuis et le mathématicien Kœnig, Voltaire et Frédéric prirent
chacun dans la lutte un parti opposé; qu'une brochure fut publiée
 sous le voile anonyme par le roi de Prusse, qui était à la fois César
et l'abbé Cotin, et que Voltaire y répondit dans les journaux alle-
 mands d'abord, et enfin par la Diatribe du docteur Ahakia, im-

   1
     On pourrait citer quelques omissions échappées à M. L. Moland. Ainsi, il ne
donne pas les lettres de Voltaire qui oat été publiées par M. H. Beaune dans son
élude sur Voltaire et VAdministration      du pays de Gesc (Mémoires de l'Aca-
démie de Dijon, 1875).