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                            CLAIRETTE                                169
comme enfermés sous un dôme pesant d'obscurité. Les villages,
les bois d'en haut, tout était caché derrière les nuages. Le soir,
c'était sinistre.
   La pluie tombait par instants, lourde, épaisse, torrentielle; alors,
on ne voyait plus rien, et, là haut, dans les salles désertes du Palais,
le vent gémissait avec une grande voix effrayante.
   J'allais tout de même, le soir, sur le banc vert tout mouillé,
retrouver Clairette. Et alors, ayant frais, nous nous enveloppions
dans un grand châle à elle
   Etre seuls, la nuit, au milieu de cette nature, frissonner de froid
ensemble roulés dans un même manteau, dans le silence et l'obs-
curité de la gorge, les cheveux de Clairette envolés sur ma figure,
ce sont des impressions que je n'avais pas soupçonnées. Et ces nuits
ont un charme que je ne saurais pas exprimer
   Aujourd'hui c'est passé : le ciel est redevenu pur et bleu sur nos
têtes; le beau soleil chauffe la montagne. C'est l'été, l'ardent été.
Et le soir, les pâles étoiles, qui brillent au travers des liserons de
la tonnelle, semblent écouter les caresses de nos paroles et sourire
aux noces de nos baisers. Etoiles, étoiles de là haut, ô les anciennes
confidentes de mes nuits de voyages, je vous oublie maintenant, je
vous oublie pour ces deux étoiles sombres qui brillent dans les
yeux de Clairette!

                                                 Juillet 1883.
         Le train rapide file à toute vapeur le long des rives du
Rhône qu'enflamme le soleil couchant. Les montagnes, déjà loin-
taines de l'Ardèche, semblent un grand incendie rose dans l'ho-
rizon qui s'efface, et puis tout s'est éteint à mes yeux, pour toujours.
   C'est fini !       Fini, la montagne ! Fini, Saint-Marcel! Fini,
l'amour de Clairette !
   Le garde des Sceaux s'est souvenu de moi, et, sans attendre la
loi, il m'envoie à un poste d'avancement, très loin, dans le Nord.
Dans la magistrature, on doit, paraît-il, s'attendre à de telles
surprises
   Quand j'ai quitté Saint-Marcel ce matin, je l'ai vue au départ de
la diligence, toute seule sur la route, venue pour me saluer une
dernière fois du regard. Comme nous nous étions embrassés, comme