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SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DK S M N T - P R I K S T 131 M. Bourgeon pâlit, et, m'interrompant vivement : « Mais, mon cher ami, me dit-il, il ne faut pas vous habituer à inventer de pa- reilles histoires. Votre mère n'était pas dans le cas d'avoir des femmes de chambre. Ce n'est pas joli de mentir. » Moi, qui avais bien la conscience de ne pas avoir menti, je fus singulièrement mor- tifié du reproche, et, sans oser me justifier, car mon instinct m'avertissait que ce n'était pas le'cas, je me mis à pleurer d'indi- gnation d'être soupçonné d'un aussi vilain défaut. Ma sensibilité, très réelle, me servit fort bien dans cet occasion ; elle avait un tel caractère de vérité, qu'elle dissipa les soupçons de nos patriotiques amphytrions qui commençaient déjà à ouvrir de grands yeux, et jetaient sur moi et autour d'eux des regards soupçonneux et inqui- siteurs. J'en fus donc quitte avec eux, cette fois, pour passer à leurs yeux pour un petit hâbleur. Il faut dire qu'ils ne me connaissaient pas sous mon vrai nom ; on m'avait affublé de celui de Darmand, en ajoutant un d à mon nom de baptême. De retour à la maison, on m'expliqua l'affaire en me recomman- dant, de nouveau, beaucoup de prudence ; mais c'était difficile à obtenir d'un enfant de onze ans pour qui ces allures républicaines étaient toutes nouvelles. J'étais encore dans cet asile au mois d'oc- tobre ; car ce fut là que j'appris le supplice de la reine qui avait eu lieu le 16 de ce même mois. La nièce du curé me l'apprit le lendemain par ces seuls mots : « La pauvre reine a péri hier ! » Le curé continuait cependant à visiter les châteaux voisins ; surtout celui de Dampierre. Mais un événement qu'on pouvait prévoir y coupa court. Le duc de Luynes fut arrêté ; quelques démonstrations de patriotisme que lui et sa femme, sœur du duc de Laval et dame du palais de la reine, eussent faites au commen- cement de la révolution (ce dont la cour leur avait su très mau- vais gré dans le temps), elles ne leur servirent à rien. Toutefois ils eurent la bonne chance de survivre à la Terreur. On fit passer le duc qui était très gros, lié sur une charrette, par le village de Goignières. Les coupe-jarrets qui le conduisaient firent une halte au cabaret de l'endroit. Pendant ce temps le prisonnier attendait sur sa charrette et défrayait la curiosité des habitants qui, dans d'autres temps, ne l'avaient approché que le chapeau à la main, et le saluant bien bas.