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126 LA REVUE LYONNAISE périence; car, dans le moment même, je trouvais ces imprudences d'autant plus naturelles que je m'y livrais moi-même, et étais peu sobre de mes paroles, même démon écriture. J'avais rapporté beau- coup de goût pour la langue de ce pays qu'on disait que je parlais bien. Je me livrais donc volontiers au plaisir d'écrire des lettres à quelques-uns de mes amis à Heidelberg. Dans ces correspondances, je m'exprimais comme j'aurais pu le faire écrivant de l'armée de Gondé. On s'en aperçut à temps, et cette occupation me fut inter- dite; je n'en devins pas plus prudent pour cela, et, plus tard, il fallut en venir à des moyens plus efficaces. Le séjour que je fis à Paris, pendant cette année-là , fut marqué par de grands événements. D'abord la chute du parti des Girondins, et l'exécution de leurs principaux chefs qui suivit de près. C'est à dater de ce moment qu'on doit, je pense, compter l'ère de la Terreur, et les horribles événements qui se suivirent sans interrup- tion jusqu'à la chute de Robespierre. Mais avant d'en arriver là , il a fallu traverser quatorze mois des plus affreux qu'on puisse trouver dans les annales du monde. On put aussi s'apercevoir d'un changement notable dans l'as- pect des personnes. Toute élégance disparut dans les toilettes, surtout dans celle des hommes. Les vestes populaires, qui prirent le nom de carmagnole, s'y montrèrent en majorité, et la cocarde tricolore fut de rigueur pour tous, même sur les bonnets des femmes. Ce qui jeta un grand émoi dans Paris fut l'assassinat de Marat par Charlotte Corday. Cet événement suivit de près la catastrophe des Girondins, et fut même provoqué par elle ; c'est ce qui fit que cette femme courageuse n'inspira pas desympathie au parti royaliste qui avait cru d'abord pouvoir la compter de son bord. On devina bien vite qu'il n'en était rien; d'ailleurs ses réponses aux interroga tions étaient faites pour ôter à cet égard toute illusion. J'aurais pu voir cette héroïne dont le poignard s'était égaré ; car, lorsqu'elle assassina Marat, il avait à peine un souffle de vie. La charette qui la conduisait à l'échafaud passa devant le Palais-Royal, au bout de *la rue Fromenteau où nous demeurions. On ne m'y laissa pas aller et avec raison. D'ailleurs personne de l'hôtel où nous demeurions, sauf mon oncle, ne se refusa ce spectacle. Ainsi, par leurs nom-