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    SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T           15
 étaient pratiqués dans ces masses de pierres inachevées. La prin-
 cesse de Lamballe, dont la fin fut si funeste, en occupait un au
 rez-de-chaussée. C'est à l'empereur Napoléon qu'on doit, il faut
 le dire, d'avoir fait disparaître ces étranges anomalies qu'on ne
 conçoit pas que les rois Louis XIV et Louis XV aient laissé si long-
 temps subsister en plein Paris. Mais, à ces époques, le séjour de
 Versailles absorbait la cour; le roi ne venait presque jamais à
 Paris, et les courtisans abandonnaient leurs vastes hôtels, cons-
 truits à grands frais, pour quêter avec instance le logement le plus
 exigu à Versailles, dès qu'il y en avait un de vacant; fût-ce même
 sous les combles.
    Bien que dans le même enclos, car je ne puis dire sous le même
 toit que nos parents, nous n'en étions guère plus rapprochés pour
 cela, et la différence du genre de vie opposait encore une barrière
 plus forte à nos rapports avec eux. Nous les voyions à peine une
fois en quinze jours. Mon père était absorbé par les affaires de
l'État ; ma mère par les soins de la représentation, et de la vie
obligée du monde. Elle n'a pris, d'ailleurs, à ma connaissance, que
peu ou point de part à notre éducation ; même à celles de ses
filles; soit que mon père l'eût réglé ainsi, ou que les événements
delà révolution y aient mis obstacle. Nous passions donc nos jour-
nées avec notre précepteur, entre les études et la promenade.
Quand je parle d'études, ceci ne regarde guère que mon frère aîné
qui, à cette époque, avait atteint l'âge de quatorze ans, et auquel
la position de mon père donnait des facilités pour les faire diriger
d'une manière plus suivie ; il avait des dispositions pour les mathé-
matiques, auxquels il s'appliqua assidûment, étant destiné à servir
dans le militaire. Il prit des leçons du célèbre Lagrange et en pro-
fita bien. Pour moi, en vérité, excepté un peu de lecture et d'écri-
ture, et mon catéchisme appris tant bien que mal et récité la
plupart du temps sans être écouté, je ne saurais me souvenir de
rien qui m'eût été enseigné, autrement que par les injures et les
coups qui ne manquaient pas. Ce genre d'éducation était assez
général alors, et notre instituteur n'en connaissait point d'autre.
   Le but ordinaire de nos promenades était les Tuileries et les
Champs-Elysées ; quand il faisait beau, nous traversions les
labyrinthes de la place du Carrousel, alors encombrés d'un mélange