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    SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T               5
ait été très bruyante, car le vicomte, depuis duc de Garaman, qui
logeait dans la maison en qualité de voyageur, réveillé en sursaut,
 s'imagina que c'était une descente de pirates. Use lève précipitam-
ment, et court le sabre à la main, plein d'ardeur, du côté d'où
partaient les cris. Au détour d'un corridor il est arrêté par la
figure longue et grave du premier secrétaire d'ambassade, qui, en
robe de chambre de molleton, et un flambeau à la main, lui dit du
ton le plus paisible: « Eh! à qui en avez-vous, Monsieur? —
 « Mais les pirates, les brigands; n'entendez-vous pas ces cris? —
« Ce n'est rien; ce n'est que madame l'ambassadrice qui accouche.
Et nous, monsieur, allons nous coucher. »
    Ce secrétaire d'ambassade, le plus brave homme du monde,
M. Lebas, était un de ces types qui ont totalement disparu de
la sphère diplomatique. Tel secrétaire d'ambasade n'avait dans
ce temps là d'autre ambition, ni perspective, que de rester à son
modeste poste le reste de sa vie, ou tout au moins jusqu'à ce que
ses années de service accomplies lui donnassent droit à la pension.
On chercherait vainement, dans les idées et les mœurs actuelles,
une résignation semblable; aujourd'hui qu'une place, telle belle
qu'elle soit, ne semble au titulaire qu'une étape vers des espérances
à venir qui souvent n'ont pas de bornes. Avant que je ne quitte
Gonstantinople, il faut que je mentionne un autre type du personnel
de cette embassade, et qu'on ne rencontre également plus aujourd'hui.
Celui-ci n'était pas tout à fait de l'ancien temps ; mais il n'était pas
non plus de l'époque moderne; il était venu dans cette ère de
transition qui a précédé la première révolution. C'était le secrétaire
particulier de mon père, M. Tonon, originaire de la province
que notre famille habitait: du Dauphiné. Jeune encore, il était
sentimental et mélancolique, élève et admirateur passionné de
Bernardin de Saint-Pierre, et, mieux que tout cela, la perle des
honnêtes gens. C'est un témoignage que lui a toujours rendu mon
père, quoiqu'il le plaisantât quelquefois sur ses rêveries romanes-
ques.
  Voici une anecdote dont M. Tonon est le héros véritable ou
imaginaire ; mais dont nous avons, depuis, constamment tourmenté
ce brave homme. Il se mêlait un peu d'écrire et de faire des vers.
Le théâtre de ses méditations poétiques était une magnifique terrasse