page suivante »
514 PRÉFACE. faire ressortir de ceci tout ce qui milite en faveur de la cause que j'essaye de défendre. « Quand nous croyons pleurer sur le roman que nos yeux parcourent, nos larmes ne tombent que sur celui qui est écrit dans nos cœurs; « c'est Chateaubriand qui avoue ainsi le charme attaché à la lecture des romans ; charme puissant, qui déplace la douleur, s'il ne l'emporte pas. Nodier, le savant aimable, a dit : « Les romans sont la lecture des âmes tendres, ils les consolent et leur rendent leurs illusions perdues. 11 n'y a que les gens heureux qui ne lisent pas de romans. » Hélas ! oui, ceux-là seuls peuvent se permettre de mépri- ser l'aliment peu substantiel dont se repaissent les lecteurs de ce genre de livres. Mais ceux qui n'ont pu traverser la jeu- nesse sans laisser des lambeaux de leur cœur aux ronces du chemin, ceux auxquels il est impossible de rentrer en eux- mêmes sans y trouver une plaie saignante, dont toutes les pensées les blessent, ceux-là sont bien forcés de se fuir dans un monde imaginaire, peuplé d'amis comme ils n'en ont ja- mais rencontrés, d'affeclions comme ils en ont rêvés; qui leur montre enfin le bonheur pour leur faire croire qu'il existe. La vie ne se développe qu'en trompant une à une ses plus belles promesses; alors vient un moment où, dégoûté du présent, on manque de force pour aller en avant, et de cou- rage pour ne vivre que de souvenirs ; c'est l'heure où les romans sont de véritables amis, de précieux confidents, qui savent, en les plaignant, nous raconter nos peines; ils nous épargnent le soin d'exprimer nos douleurs, et donnent «ne forme à toutes nos larmes. Quand le cœur à l'agonie s'épuise à courir après un songe, quand l'on est réduit à apaiser sa vie au lieu d'en jouir, c'est une bonne fortune de l'adversité que de pouvoir oublier sa misère en s'occupant de celle des autres. On se berce dans de folles visions qui font parfois