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526 MADEMOISELLE DE MAGLANB. si empressé, et d'une voix si melliflue que j'eus quelque peiiie à la croire naturelle, et à ne pas supposer un peu de malice dans ce soin qui semblait reprocher à Marie un oubli impar- donnable vis-à -vis de sa future belle-mère. Je ne sais si Raoul s'en aperçut, mais il répondit d'un air froid et contraint. La conversation devint bientôt générale et s'engagea sur un tour qui acheva de m'ensorceler. On parla de l'Italie : Marie et son père l'ont parcourue tout à fait en artistes ; ils ont vu, étudié, non seule- ment les monuments, les galeries, tous les chefs-d'œuvres dont l'Italie est couverte, et que tous les touristes visitent, mais encore tous les trésors de peinture, de sculpture enfouis dans d'obscu- res églises de villes presqu'inconnues à la plupart des voya- geurs. De la peinture à la musique, la transition est si facile, que nous parlions de Rossini sans penser avoir quitté Raphaël. Raoul pria Marie de se faire entendre, et, sans aucune de ces minau- deries que les dames nous font toujours subir comme prélude obligé, elle chanta le Fra tanti palpili de la Sémiramide, avec un talent et surtout un goût qu'on remarquerait même à la scène. A mon admiration, à mes transports, on devina bien vile que j'étais fou de musique ; et Raoul en bon ami s'empressa de vanter mon talent ; ô quel bonheur, s'écria Mlle de Magland, nous ferons des quatuors ! Quelles charmantes soirées nous allons avoir! Vite, mon père, ta basse, ton violoncelle ; vous, Monsieur Raoul, le violon, la flûte ; et les parties se déployaient sur les pupitres. Rien ne saurait rendre la manière dont on comprend la musique ici; c'est l'amour de l'art dans toute sa divine folie, comme je l'ai si souvent rêvé. Tout courrait de verve et était dévoré au vol ; les instruments ne donnaient pas de trêve à la voix, ni la voix aux instruments. C'est ainsi qu'on fait de la musique au Genêt. Je crus devoir demander à M1Ie Alix de se faire entendre à son tour, elle se fit prier longtemps, et elle avait raison, car elle chanta une romance, et la chanta fort mal ; je n'osais pas m'avouer qu'elle a la voix fausse, parce qu'on a toujours peur qu'une femme ait l'ame comme sa voix, mais je ne pus pas prendre sur moi de lui dire qu'elle l'avait belle. Je me rejettai sur les lieux communs du goût, de la méthode, et je vantais la romance