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                    LES DE0X PROFESSEURS.                     355

combien de lézards, de hannetons et de vers à soie avons-nous
vu subir le sort des malheureux moineaux. Les chiens, les
chats, et nous autres, rien n'était épargné ; les fils de famille
étaient seuls à l'abri de ses coups, et encore.... mais rare-
ment, lés jours de grande fureur, quand une fois lancé, il ne
pouvait plus s'arrêter.
   J'aurai toujours présente à la mémoire certaine correction
qu'il m'infligea pour avoir commis le crime bien pardonnable
d'avoir chanté à pleine voix l'air de la retraite en me rendant
un soir au réfectoire. Blofli dans le coin d'une salle qu'il
nous fallait traverser, et qu'il avait soin de ne jamais tenir
éclairée, il fondit sur moi aux premières notes de mon air,
armé d'un fouet qu'il avait rapporté de Brest ou de Roche-
fort, puis aidé de ses mains, de son fouet et de ses pieds, il
me rudoya de telle sorte qu'il faillit me laisser sur la place.
J'étais brisé ; mais il fallait un exemple, il ne s'en tint pas
là, je fus envoyé au dortoir sans souper, ce dont je n'avais
guère besoin, il est vrai, puis j'achevai la semaine entre mon
lit et la retenue, au pain sec et à l'eau pour tout potage.
A l'âge que j'avais alors, pour un meurtre ou un incendie, la
cour d'assises m'eût acquitté.
   Un maître d'études, qui avait assisté à mon exécution,
monta me voir et me recommanda de n'en rien dire à ma
famille. —Ma mère, me dit-il, les larmes aux yeux, est morte
d'une révolution que lui causa une chute que je fis à votre
âge. — Je me retournai en pensant à la mienne, et je fondis
 en larmes. C'étaient les premières que je versais ; la rage dont
 mon cœur était rempli n'en avait pas laissé échapper une
 seule pendant tout le temps que dura mon supplice.
    Les tortures et les mauvais traitements étaient reçus à celle
 époque, c'étaient de vieilles traditions que nous avaient laissées
 nos pères. Les écoliers entr'eux se disaient : dans telle on
 telle pension on bat plus ou moins, et, chose bien singulière