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516 PRÉFACE. de ses émotions ; qu'on lui fasse le compte et l'état de ses soupirs, qu'on l'appelle au partage d'une ame qui ne nous appartient plus, dont nous n'avons conservé que la faculté de sentir que nous l'avons donnée tout entière ! Faut-il donc montrer son idole parce qu'on avoue sa dévotion? L'amour n'a de confident que celui qui l'inspire; c'est une religion qui n'admet que deux initiés. Le roman intime, comme je le com- prends, doit être une fable qui ressemble si peu à un men- songe qu'on puisse jurer que c'est une vérité; une aciion simple, développée par des caractères qui le soient moins. Il faut que leur originalité, s'ils en ont, soit plutôt sentie qu'an- noncée; il faut, surtout, être économe d'esprit, c'est l'ennemi juré de l'émotion, et le succès d'émotion, le plus puissant de tous, est le seul qu'on doive chercher dans un roman. Pour moi, le véritable roman est ce roman du coin du feu où la gaîté, s'il y en a, est tempérée par le souvenir de la tris- tesse, qui endort nos peines en les analysant, qui nous en- courage à la résignation, ou nous reconduit à l'espérance ; c'est celui-là que je ne commence jamais sans regretter de le voir finir. En résumé, les meilleurs romans ne sont pas ceux que j'admire le plus, ce sont ceux que j'aime le mieux. Généralement on exige d'une œuvre d'art un but élevé ; on veut qu'il en sorte une intention directe ou indirecte de perfectionnement moral, une tendance vers le beau et le bon ; le roman est donc soumis à la règle suprême qui gouverne les productions de l'intelligence ; il doit d'abord contenir une leçon haute et fructueuse; puis le public qui veut que les œuvres de fantaisie l'intéressent, exige que le roman soit un miroir qui reflète les mouvements de l'ame et les événements de la vie humaine. Ainsi donc, si je faisais un roman mais comme il serait aussi long de vous dire comment je le ferais que de l'écrire, j'en ferai un et vous le lirez. JANE DUBUISSON.