page suivante »
362 LA REVUE LYONNAISE voyageurs, tirés de leur sommeil, étaient descendus sur la voie, s'enquerant des causes de cet arrêt imprévu, gesticulant, s'etirant les bras. Christian fit comme eux, pour se mettre en mesure de satisfaire la curiosité de sa compagne désireuse de savoir « ce que c'était, » il se précipita aux renseignements. Chacun disait son mot, des groupes se formaient ; des employés couraient, affairés, avec des lanternes. La lune, divinement radieuse dans un azur sans nuages, versait à flots sa lumière blanche sur cette scène de désordre et prêtait aux personnages des apparences fan- tastiques. Christian qui revenait en courant de la chasse aux nouvelles s'arrêta soudain comme pétrifié d'admiration, à quelques pas du compartiment qu'il occupait avec la jeune femme. Celle-ci, qui s'était avancée sur le marche-pied, était maintenant éclairée par les rayons de l'astre cher aux rêveurs tombant en plein sur son visage ; cette lumière argentée qui l'enveloppait de toutes parts comme d'un immatériel vêtement donnait à sa beauté une splendeur triomphale; on eût dit d'une de ces créatures idéalisées par les poètes, qui semblent effleurer seulement une terre indigne de les posséder et paraissent toujours prêtes à s'envoler. Il y avait en même temps une telle pureté, une expression si intense de vir- ginité sur cette figure que Christian sentit s'évanouir à jamais les soupçons injurieux qui avaient un instant traversé son esprit. Il connaissait assez, par l'expérience qu'il en avait faite, les. femmes de théâtre et les Vénus faciles pour voir qu'entre elles et son inconnue, il ne pouvait y avoir rien de commun. Pour la première fois peut-être, en face de cette rayonnante apparition, il sentit, plus qu'il ne la comprit, la magique toute-puissance de la femme. Lui en qui le poète était déjà mort, ce poète qui, au dire de Musset, est au fond du cœur de tout homme à vingt ans, lui qui par sa vie mondaine, appartenait au prosaïsme de l'existence moderne, il était prêt à se jeter aux. pieds de cette femme, qu'une heure avant il ne connaissait pas, et à lui jurer un éternel amour. Elle pourtant qui venait de tourner la tête du côté de Christian, ne put manquer de s'apercevoir de l'impression produite sur lui, si puissante qu'elle avait enchaîné ses pieds au sol. Sa nature fémi- nine n'en fut-elle pas intérieurement flattée ? Mes lectrices répon-